Les Nuits brûlantes de Linda (1974) de Jess Franco avec Lina Romay, Alice Arno, Monica Swinn (Artus Films) Sortie en DVD/BR le 3 Mai 2022 (déjà disponible sur le site de l’éditeur)

© Artus Films

© Artus Films

Sorti en 1974 (on aperçoit les affiches de L’Horloger de Saint-Paul et des Aventures de Rabbi Jacob aux devantures des cinémas au début du film, lorsque Alice Arno déambule dans Paris), Les Nuits brûlantes de Linda se situe à un moment charnière du cinéma d’exploitation en France. En effet, le cinéma hardcore commence à faire son apparition sur les écrans et le public en demande plus que ce que le cinéma gentiment érotique a désormais l’habitude de lui montrer depuis la fin des années 60. C’est pour cette raison que le film de Franco existe en deux versions : une « soft » que les éditions Artus nous permettent de découvrir de manière optimale et une à laquelle ont été ajoutées des scènes relevant du cinéma pornographique explicite. Du coup, comme il s’agit de conserver une durée à peu près identique pour les deux versions, nous aurons le droit ici à des scènes plaquées artificiellement dans le récit où deux policiers (un homme paillard et une femme légère) enquêtent (mais de très loin !) sur l’assassinat présumé d’une femme par son mari. Ces passages un peu lourds, non doublés (les personnages parlent en anglais), donnent parfois au film un côté brinquebalant, à l’instar d’autres coupes abruptes qui rendent la narration parfois un peu confuse. Et même si Alain Petit estime que cette version « soft » est sans doute celle qui se rapproche le plus du « director’s cut »[1] ; il y a de quoi donner du grain à moudre aux détracteurs de Franco qui y verront à nouveau un signe de sa désinvolture pour ne pas dire son je-m’en-foutisme.

Ils auront tort, pourtant, car Les Nuits brûlantes de Linda, sans compter parmi les œuvres les plus réussies du cinéaste, est un film assez passionnant. Quelques mots d’abord sur la version « hard ». Artus a la bonne idée de nous proposer en supplément un florilège des scènes additionnelles concoctées par le cinéaste. Cela donne une idée de la teneur de cette version (la pornographie selon Franco est quand même moins gynécologique que ce qu’elle deviendra assez rapidement) mais il faut souligner que ces scènes ont aussi été édulcorées. Ainsi, la fameuse scène de défloration avec un banane (je dis fameuse car Alain Petit et Stéphane du Mesnildot, dans sa présentation du film, l’évoquent) est coupée avant qu’arrivent les flots de sang. Quelques mots-clés bien sentis et les plus curieux d’entre vous pourront voir la scène sur Internet en qualité VHS (je ne vous garantis pas, en revanche, que toutes vos données ne seront pas instantanément volées par le Kremlin !). Elle est plutôt gore et peu ragoutante mais elle correspond assez, au fond, au goût du vampirisme de Franco et on peut y voir une variation assez intéressante autour des exactions de la comtesse Karlstein se nourrissant des fluides vitaux de ses victimes dans La Comtesse noire.

Demandeuse d’emploi, Marie-France (Alice Arno) trouve un emploi de nurse en Grèce pour s’occuper d’une jeune femme handicapée : Linda. Celle-ci vit avec son père veuf (a-t-il tué son épouse ? C’est ce que les deux policiers évoqués plus haut cherchent à savoir) et sa cousine délurée Olivia (Lina Romay). En arrivant dans cette étrange demeure, Marie-France découvre des secrets cachés, des relations incestueuses plus ou moins tues (Olivia et Linda sont comme des sœurs) et une atmosphère de sensualité moite. Comme souvent chez Franco, c’est moins l’anecdote qui importe que les variations qu’il effectue autour des mêmes motifs, des mêmes thèmes. On retrouve dans Les Nuits brûlantes de Linda des éléments sadiques qui rappellent des films comme Eugénie de Sade ou Plaisir à trois. On y retrouve surtout cette dimension « psychique » (comme le souligne Stéphane du Mesnildot) qui transforme le récit en une succession de rituels érotiques assez fascinants.

Ici, la maison se charge d’une dimension symbolique où, comme chez Lang (toutes proportions gardées), il est question d’une clé qui ouvre une pièce interdite. Il s’agit alors d’arpenter les territoires d’un imaginaire profondément fantasmatique et érotique. Franco dialogue aussi avec les morts puisque l’oncle d’Olivia est hanté par le décès de son épouse (jouée par Monica Swinn, non créditée au générique). A travers le personnage d’Olivia, il s’agit de resusciter l’image d’un être aimé disparu (Soledad Miranda ?). Avec sa belle photographie (quelques plans magnifiques baignés dans une lumière rouge), le film distille une certaine poésie romantique et morbide qui fascinera les inconditionnels du cinéaste.

Si l’on accepte le caractère assez flottant de la narration, on pourra se laisser porter par ce flou onirique dans lequel semble baigner le récit et où Alice Arno paraît observer tout ce petit théâtre familial avec la distance qui est celle du spectateur/voyeur. Nous sommes dans un songe, ou dans les rets de fantasmes auxquels Franco, une fois de plus, est parvenu à donner une forme singulière et assez unique.

 

[1] PETIT, Alain. Jess Franco ou les prospérités du bis. Artus films, 2015.

Retour à l'accueil