Laurent Cantet, le sens du collectif (2022) de Marilou Duponchel et Quentin Mével (Éditions Playlist Society, Face B, 2022) Disponible en librairie depuis le 22 février 2022

L'individu et le groupe

Une des grandes qualités de la collection « Face B » des éditions Playlist Society, c’est de parvenir à coller à l’actualité cinématographique (le livre accompagne en quelque sorte la sortie récente d’Arthur Rambo) tout en permettant un certain recul pour prendre à un instant t le pouls d’une œuvre en train de se bâtir. De sorte qu’elle nous invite à revisiter les œuvres de cinéastes sur lesquels la lumière n'est pas toujours faite et y déceler une certaine cohérence (je pense au bel ensemble autour de Lucas Belvaux).

Laurent Cantet est une sorte de « cobaye » idéal : à la fois célébré au moment de la sortie de son premier long-métrage distribué en salles (Ressources humaines) et de sa palme d’or à Cannes pour Entre les murs, il poursuit désormais son œuvre de manière plus anonyme (j’avoue que je ne suis allé voir aucun de ses films après Entre les murs). Le livre de Marilou Duponchel et Quentin Mével vient donc à point nommé pour faire le point sur une œuvre qui compte neuf longs-métrages (si l’on compte le téléfilm Les Sanguinaires) et deux courts-métrages.

L’essai de Marilou Duponchel se révèle concis et synthétique. Partant d’une question posée à la fin de Ressources humaines (« Elle est où ta place ? »), la critique décortique les principaux thèmes de ce cinéma « social » mais jamais militant : la difficulté d’accorder son image et la réalité de sa personne (le personnage à double vie inspiré de l’affaire Romand dans L’Emploi du temps, le twittos antisémite et homophobe et l’écrivain célébré par ses pairs dans Arthur Rambo…), l’importance des lieux (l’usine de Ressources humaines, la salle de classe d’Entre les murs…), l’attention portée la jeunesse… L’ensemble est pertinent et intéressant, malheureusement parfois entaché non pas par l’écriture inclusive (la féminisation des noms[1], l’accord de proximité, je suis plutôt pour…) mais par le recours à l’immonde point médian, occasionnant coquilles (un « tous-te-s » -p.11- qui me semble comporter un « s » de trop) ou des choses totalement illogiques comme un « employés » utilisé au masculin (p.13, il n’y a donc pas de femmes à l’ONU ?) ou pire, page 18,  un « ils se rappelleront » qui prolonge une phrase pourtant débutée par « cinq ami-e-s ». Bref, je pinaille mais, de grâce, ne sortons pas cette manière d’écrire de la fange des réseaux sociaux : qu’elle pullule là est déjà largement suffisant !

Après ce court essai, Quentin Mével s’entretient avec le cinéaste et revient en détails sur la confection de ses films. Ce qui est très intéressant, c’est que l’approche n’est pas purement théorique (les thèmes abordés) mais que Cantet revient largement sur ses méthodes de travail, qu’il s’agisse de la mise en scène (le tournage à plusieurs caméras à partir d’Entre les murs pour prendre les mêmes scènes sous des axes différents) ou encore sa manière de faire répéter les comédiens, de révéler des comédiens non professionnels… Le lecteur découvre un cinéaste à la fois humble et ouvert, fuyant comme de juste les grands discours militants mais toujours en phase avec le monde qui l’entoure, recherchant constamment une certaine éthique pour trouver la juste distance entre lui et ceux qu’il filme :

"J'aime penser la mise en scène comme un dispositif qu'on invente pour que les choses adviennent. Ce n'est pas juste demander à un comédien de dire ça à tel endroit, c'est aussi profiter d'accidents, stimuler le réel."

Cinéaste curieux, pouvant passer d’une salle de classe d’un collège parisien défavorisé à un film sur la réalité cubaine (Retour à Ithaque), il livre ici de passionnantes réflexions sur son métier et sa manière d’envisager le cinéma.

Et, une fois de plus, la réussite de ce petit livre donne envie de se replonger dans cette œuvre aussi discrète que cohérente.

 

 

[1] A condition que ça soit fait de manière logique : « autrice » ou « doctoresse », oui ; « auteure » ou « professeure », mille fois non !

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