L’Invention du cinéma (2022) de Luc Chomarat (Marest éditeur, 2022) Sortie le 24 mars 2022

 

Une drôle d'histoire

Avec Les Dix Meilleurs films de tous les temps, Luc Chomarat nous offrait une petite pépite, merveille d’humour et de concision. Dans ce livre, il posait un regard attendri et plein de dérision sur la manie qu’ont les cinéphiles d’établir des listes, des classements et de se déchirer autour des films et des auteurs. L’Invention du cinéma n’est pas, à proprement parler, une suite mais l’auteur adopte le même principe : une succession de digressions autour de l’histoire du cinéma jouant sur les coq-à-l’âne et une forme courte, proche parfois de l’aphorisme. Il s’amuse d’ailleurs parfois à tisser des liens avec cet autre livre, notamment lorsqu’il conclut certains chapitres par : « Mais on ne va pas encore parler d’Ozu… » (le cinéaste japonais y occupait une place prépondérante).

Chomarat remonte aux origines du cinéma : les frères Lumière, Méliès, Edison… Mais ne comptez pas sur lui pour jouer les historiens orthodoxes et dérouler linéairement le fil de l’Histoire du septième art. Très vite, les anachronismes sont légion et les pionniers peuvent évoquer des cinéastes ou courants contemporains. Par exemple, L’Arrivée du train en gare de la Ciotat invite à une petite réflexion sur ce moyen de locomotion très cinégénique :

« - Le plan final de La Mort aux trousses !

- Oui, enfin ça, c’est plutôt du sexe.

- Le sexe aussi est très cinématographique.

- C’est pas faux, c’est pas faux… Pour notre premier film, on devrait peut-être…

- Non, non, on reste sur ce qu’on a dit. Arrivée d’un train en gare de la Ciotat.

- Mais le porno…

- Plus tard. »  

Ce simple exemple suffit à montrer la teneur de ce délicieux petit ouvrage et sa manière de nous inviter à flâner à travers l’histoire du cinéma. George Lucas et son Star Wars (mais pas seulement) y côtoie Georges Méliès, Hitchcock y voisine avec Rohmer et Bruce Lee… Dans Les Dix Meilleurs films de tous les temps, Luc Chomarat faisait sa propre autocritique par le biais d’une voix qui lui reprochait sa désinvolture empêchant de savoir s’il était sérieux ou pas, s’il aimait vraiment les films qu’il défendait ou pas. Et c’est vrai que l’exercice était ambivalent dans la mesure où l’auteur prêchait dans un même mouvement une immense admiration pour Ozu ou Tarkovski tout en raillant les caractéristiques immédiatement identifiables de leurs œuvres (la lenteur pour Tarkovski, la similarité des scénarios pour Ozu…). On retrouve dans L’Invention du cinéma ces éloges paradoxaux et plein d’humour, notamment à l’égard de Rohmer dont les films sont considérés comme « pornos », mais du porno où « la scène de cul n’arrive pas ». Au départ, le lecteur rohmérien (j’en suis, je l’assume) trouve ça très injuste (comment ça, « pas cadré, pas éclairé », le cinéma de Rohmer !) puis ne peut s’empêcher de rire (le résumé de Ma nuit chez Maud est désopilant) avant de réaliser que les railleries de l’auteur dissimulent une véritable affection et que ses interprétations farfelues sont, mine de rien, toujours très stimulantes.

Alors s’il fallait émettre une toute petite réserve, nous dirions que L’Invention du cinéma ne possède peut-être plus la fraicheur des Dix Meilleurs films de tous les temps dont Luc Chomarat reproduit un peu la formule avec une pointe de cynisme en plus, notamment lorsqu’il évoque le cinéma bis ou lorsqu’il s’attaque à la critique. Mais là encore, le sens de la dérision l’emporte et séduit le lecteur :

« En général, les historiens du cinéma pensent que les vieux films sont de bons films. Et que les nouveaux sont de la merde. Quand les nouveaux films deviennent vieux, ils deviennent bons.

C’est normal. L’historien a besoin d’un peu de recul, contrairement au critique qui doit tout de suite dire si c’est bien. C’est pourquoi les uns et les autres finissent par affirmer le contraire de ce qu’ils ont dit précédemment. »

Tout l’art de Chomarat tient dans cet exemple : un sens de la formule qui fait mouche mais qui parait, dans un premier temps, réductrice. Et puis on la relit et on se dit que c’est quand même bien vu. Et on rit.

Et si Chomarat inventait tout simplement une nouvelle façon de voir les films, infiniment personnelle, un tantinet dandy et surtout, irrésistiblement drôle ?

Retour à l'accueil