Les mutations du cinéma chinois
Le Réalisme magique du cinéma chinois (2022) de Hendy Bicaise (Playlist Society, 2022) En librairie depuis le 21 avril 2022
Je dois le confesser humblement, je n’ai pas suivi de près l’actualité du cinéma chinois de ces dernières années. J’en suis resté aux réalisateurs de la « sixième génération » (Jia Zang-Ke ou le premier film de Wang Chao) et ai malheureusement laissé tomber par la suite. Le court essai d’Hendy Bicaise tombe à pic pour se remettre à jour et suivre les évolutions d’une cinématographie en pleine mutation et bouleversée par le numérique et les nouvelles technologies.
Après une introduction très pertinente qui remet en question la notion de « génération » accolée aux cinéastes chinois (Zhang Yimou et Chen Kaige représentant, par exemple, ceux de la cinquième), Hendy Bicaise tente de définir ce qui apparaît aujourd’hui comme une tendance majeure des cinéastes de la nouvelle génération : le réalisme magique.
Tandis que la génération précédente, au tournant du nouveau millénaire, restait attachée à un certain réalisme (L’Orphelin d’Anyang, Xiao Wu, artisan pickpocket…) et à un contact direct avec le réel (allant parfois jusqu’au tournage clandestin), la nouvelle fait surgir au cœur du quotidien des événements fantastiques ou insolites. L’auteur s’attache particulièrement à Still Life, le film de Jia Zhang-ke, parfaite transition entre le réalisme pratiqué jusqu’alors par le metteur en scène et le glissement vers ce « réalisme magique » qui s’exprime le temps d’une scène, lorsqu’un immeuble décolle soudainement comme une fusée.
Ces visions extraordinaires, que l’on retrouve sous la forme d’OVNI dans Les Eternels ou Uncle & House de Luo Hanxing permettent dans un même mouvement d’embrasser les mutations de la société chinoise tout en s’affranchissant du réalisme : « Tout le film repose sur cette contradiction : saisir la beauté d’un monde en train de disparaître, et dans un même souffle l’agitation et la mutation. ». S’appuyant sur de nombreux exemples, l’auteur montre comment le surgissement de ces éléments extraordinaires trouvent des « échos introspectifs » chez les personnages (confrontés, notamment, à leur part animale) et de la façon dont il témoigne d’une volonté de réenchanter le monde.
La force de l’essai tient à son argumentation précise, s’appuyant sur des données sociopolitiques, culturelles et picturales mais aussi sur de nombreux exemples de scènes précises. Pour un lecteur qui n’aurait pas vu les films, Hendy Bicaise prend soin de proposer des résumés concis et d’en extraire les principaux enjeux sans se perdre dans d’interminables descriptions mais en évitant les références trop allusives qui pourraient perdre le néophyte. En ce sens, son travail de vulgarisation est remarquable. De manière assez classique mais convaincante, il déroule ensuite le fil de son argumentation à travers une série de thèmes qui naissent dans le sillage de ce « réalisme magique » : la résistance des femmes à la domination masculine, les problématiques liées à l’argent et aux mutations du paysage à travers les grands chantiers de construction (barrages, villes tentaculaires…) mais aussi quelques motifs esthétiques comme celui du tunnel ou du dispositif cinématographique exhibé comme tel.
Le Réalisme magique du cinéma chinois, en dépit de sa concision (un peu plus de cent pages), s’avère être un panorama relativement complet et intelligemment documenté des mutations d’une cinématographie méconnue en dehors de quelques réalisateurs vedettes (Jia Zhang-Ke, Bi Gan…). Une parfaite entrée en matière, en somme, qui donne envie de se plonger dès que possible dans ce nouveau cinéma chinois.