La mort marche en talons hauts (1971) de Luciano Ercoli avec Susan Scott, Frank Wolff, Simon Andreu (Éditions Artus films).

© Artus Films

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La mort marche en talons hauts[i] constitue le deuxième volet de la trilogie des gialli que Luciano Ercoli réalisa au début des années 70 avec sa compagne Nieves Navarro (aka Susan Scott) en vedette, entre Photo interdite d’une bourgeoise et La mort caresse à minuit. Des trois films, c’est sans doute le plus classique et l’on ne retrouvera pas les inventions purement plastiques des deux autres (que l’on se souvienne de l’extraordinaire séquence d’ouverture de La mort caresse à minuit). Mais c’est peut-être aussi celui qui s’avère le plus équilibré et le plus rythmé. Le scénario d’Ernesto Gastaldi (un des habitués du genre) se révèle plutôt bien charpenté, limitant les incohérences en dépit des rebondissements typiques du filon et parvenant à doser avec talent les éléments du thriller de machination, du giallo et même une pointe de comédie.

Le récit débute dans un train en reprenant les éléments clés du giallo : un assassin cagoulé, portant des gants noirs qui égorge avec un rasoir (toujours l’arme blanche !) un cambrioleur afin de récupérer un important magot composé de diamants volés. Le spectateur ne verra de son visage que ses yeux très bleus. Néanmoins, le tueur fait chou blanc et décide alors de s’en prendre à Nicole (Susan Scott), la fille du cambrioleur. Se sentant en danger lorsqu’il vient la menacer chez elle et retrouvant des lentilles de contact bleues dans la salle de bain de son petit ami (Simon Andreu), Nicole s’enfuit en Angleterre avec un richissime médecin : le docteur Matthews (Frank Wolff).

Construit de manière assez originale, ce film relativement long (près d’1h50) se déroule en deux temps. Une première partie exclusivement centrée (ou presque) sur le personnage de Nicole et une deuxième qui nous plonge dans l’enquête à proprement parler après une mort brutale et surprenante à la manière du Psychose d’Hitchcock.

L’œuvre débute comme une ode à Nieves Navarro qui est de tout les plans. Comme dans La mort caresse à minuit, elle est une « image » idéale puisqu’elle se produit sur scène où elle effectue des numéros de strip-tease. La caméra amoureuse d’Ercoli parvient à trouver un équilibre intéressant dans la manière de la regarder. Elle est d’abord un pur objet de désir, de fantasme et son mentor s’attarde sur les moments où elle est sur scène, où elle se déshabille. De quoi faire pousser des cris d’orfraies aux contempteurs acharnés du « regard masculin » (je refuse d’employer la grotesque appellation anglo-saxonne ressemblant à « merguez » !). Mais on ne répétera jamais assez que le cinéma est un art dialectique et que Nicole est également un véritable personnage, un « sujet » qui ne se laisse pas faire (voir la scène très drôle, au début, où elle rembarre les flics) et qui refuse de se laisser réduire à ce seul statut d’objet. Le film est assez fort sur ce plan car Ercoli érotise souvent son actrice, au point de s’attarder (un peu trop) longuement sur des moments anodins où elle se contente de se lécher les doigts mais il reste avare en franches nudités et évite totalement les mornes scènes d’accouplement soft.

Comme son métier le suggère, Nicole/Nieves est un modèle mais un modèle pensant et agissant.

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Lorsqu’arrive la deuxième partie, Ercoli retrouve les rails plus classiques du thriller : le tueur ganté ressurgit, les meurtres refont surface (dont l’un s’avère assez sanglant) et le cinéaste ajoute une pincée de piment « giallesque » (l’aveugle témoin d’une tentative de meurtre sur le docteur Matthews). Sans être révolutionnaire, le scénario est bien charpenté et on se prend volontiers au jeu de cette intrigue tortueuse. Comme dans La mort caresse à minuit, Ercoli ajoute une petite pointe d’humour mais qui fonctionne mieux, à mon sens, ici. Autant il désamorcera dans le film suivant le côté mental et torturé de l’œuvre, autant il permet ici de relever la sauce grâce notamment à cet inspecteur flegmatique (très « british » en dépit de son parfait italien !) et à son cynisme qui permet de tourner en dérision toutes les hypothèses avancées par son entourage.

Il est évidemment hors de question de révéler les tenants et aboutissants d’une intrigue riche en rebondissement mais toujours est-il que cette synthèse entre le film de machination dans la lignée des Diaboliques et le giallo fonctionne plutôt bien et prouve le talent de metteur en scène de Luciano Ercoli. 


[i] Nous utiliserons le titre choisi par Artus pour cette réédition en sachant que le film existe également sous l’appellation Nuit d’amour et d’épouvante et qu’il était sorti en salles sous un titre légèrement différent : La mort marche à talons hauts.

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