L’Urlo (1968) de Tinto Brass avec Tina Aumont

Visages du cinéma italien : 3- Tinto Brass

Avant de devenir le maitre incontesté de l’érotisme à l’italienne avec des films comme Caligula, Salon Kitty ou le très beau La Clé, Tinto Brass a débuté dans les années 60 en abordant plusieurs genres (la comédie, le western ou le polar « pop ») puis en imprimant un style de plus en plus expérimental à ses réalisations. Tourné au cœur de la période contestataire de l’après-68[1], L’Urlo est sans doute l’un de ses films les plus fous et les plus anarchistes (aussi bien sur le fond que sur la forme). Impossible de résumer ce qui s’apparente plus à une sorte de collage surréaliste qu’à un récit traditionnel. Tout au plus pouvons-nous dire qu’une jeune femme (la divine Tina Aumont) s’apprête à se marier et que dans un moment de lucidité, elle fuit ses obligations sociales et familiales pour s’enfuir avec un homme et traverser des tableaux n’ayant rien de réalistes.

Difficile de faire plus foutraque et abscons que L’Urlo alors pour tenter de s’y retrouver, on se raccroche au titre du film. Puisque d’un « hurlement » il est question, c’est celui-ci qui fera office de fil directeur. Un cri de révolte contre toutes les formes d’oppression. Le film s’ouvre sur des violences policières pratiquées contre Anita. Lorsque celle-ci fuit ses obligations matrimoniales, elle exprime son rejet de toute forme de joug social. Le film se présente alors comme une sorte de balade allégorique où un couple se trouve confronté à la véritable nature de l’homme. Brass signe alors un kaléidoscope d’images délirantes où des archives d’actualités renvoient à la Seconde Guerre mondiale (les discours de Mussolini et d’Hitler) et où des soldats débarquent pour massacrer aveuglément. Anita et Coso croiseront également des artistes qui les embarquent dans une orgie (liberté sexuelle de la fin des années 60 oblige), des philosophes cul nu, des cannibales et des groupes de jeunes dansant lors d’une grande scène dionysiaque.

On pourra, au choix, rester hors du film et le trouver insupportable ou alors (ce fut mon cas), se laisser porter par une œuvre qui relève davantage de la performance artistique (la belle Noire qui danse nue avec une volaille dans les mains) que d’un récit structuré. Brass s’en prend violemment à tous les vecteurs d’oppression : l’armée, la police, la famille et même l’art et la philosophie sont renvoyés à leur inanité. On pourra trouver que cette provocation dans la contestation a parfois un peu vieilli (la présentation en patchwork où se mêlent évidemment sexe et violence) mais il sera également difficile de nier que L’Urlo ne ressemble à rien de déjà-vu.

A sa manière, ce film est le témoignage d’une époque où l’on ne reculait devant aucune audace (et Dieu sait si le cinéma italien n’allait pas s’arrêter là en matière d’exploration des limites de la représentation !) et où l’on pensait qu’il était possible de faire un cinéma radicalement différent. Et rien que pour cela, le film de Tinto Brass mérite le coup d’œil.  

 

[1] Difficile de précisément dater l’année de réalisation de L’Urlo : certaines sources le datent de 1968 tandis que d’autres évoquent 1970 (date de sa présentation au festival de Berlin). Et même s’il s’agit d’une flagrante erreur (comme dans le Dictionnaire du cinéma de Tulard), il est parfois daté de 1974 (date de sa sortie dans les salles italiennes).

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