Lady Usher’s Diary (2022) d’Alexandre H. Mathis avec Pamela Stanford, Gérard Courant, Michel Girod (Phoenix Underground Distribution)

© Alexandre H. Mathis

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Réalisateur de quelques courts-métrages expérimentaux au début des années 70 (on pourra découvrir en bonus du DVD le très warholien Bathroom), Alexandre Mathis s’est davantage fait reconnaitre comme critique de cinéma (on lui doit deux beaux ouvrages sur José Benazeraf) et écrivain (ces chefs-d’œuvre de littérature que sont Les Fantômes de M.Bill ou LSD 67). Depuis 2014, il travaille avec son égérie Pamela Stanford sur de nombreux projets de films (courts et longs) et nous avions pu découvrir en 2019 l’étonnant Outre Tombe, film fleuve de 7 heures ; et le style très particulier de Mathis.

Ce style, on le retrouve dans Lady Usher’s Diary et pour le définir, nous allons forcément schématiser. En effet, il s’avère difficile de le faire entrer dans une case car le cinéaste nous propose une œuvre qui n’est ni réellement narrative (qu’on ne s’attende pas à une adaptation fidèle de La Chute de la maison Usher comme a pu nous la proposer Roger Corman autrefois), ni abstraite et formaliste, en dépit d’un jeu savant sur les surimpressions, les boucles, la reprise de plans identiques…

Lady Usher’s Diary est avant tout une œuvre impressionniste et, si on nous permet d’utiliser ce terme trop galvaudé, poétique (dans poétique, il y a Poe). Alexandre Mathis filme d’abord des lieux : la campagne du Sud-Ouest de la France, des étendues d’eau, des ruines, une tour de château au clair de lune, les départementales où Pamela Stanford (Madeline) fait de la bicyclette…

© Alexandre H. Mathis

Cette succession de plans ne raccordent pas puisqu’on peut passer sans crier gare d’une saynète estivale à des moments tournés en hiver. De la même manière, Pamela Stanford change de tenue d’un plan à l’autre ou presque. Cette approche purement impressionniste, mêlée à une succession d’intertitres venus du temps du muet finissent par créer une forme d’envoûtement. Et c’est en procédant de la sorte que le cinéaste finit par rejoindre l’univers d’Edgar Poe. Il ne s’agit pas d’adapter littéralement l’intrigue mais de saisir un ensemble de réminiscences qui finissent par irriguer l’œuvre. Ici, c’est un chat noir qui occupe l’écran pendant quelques minutes, là, ce sont des corbeaux qui troublent la quiétude d’un cimetière… Et l’intelligence du film est de parvenir à brouiller les points de vue. Chez Corman, le récit est envisagé du point de vue de Roderick, inconsolable depuis la mort de sa sœur Madeline. Ici, on suit davantage cette femme mystérieuse, à la fois fantôme et image désirée. Roderick adopte une position plus en retrait même si c’est son regard qui permet d’approcher cette image qui semble se dérober sans cesse. Que l’homme soit interprété par le metteur en scène lui-même n’est pas un hasard. Son art est de redonner naissance aux fantômes. Un art qui s’exprime lorsque la caméra s’attarde sur les couleurs de l’automne ou met en valeur la beauté des châteaux, des ruines. Le côté très familier des plans se charge alors d’un voile de mystère, d’une « inquiétante étrangeté » qui nait du quotidien le plus banal.

On le sait lorsqu’on connait un peu l’œuvre littéraire de Mathis, son obsession est celle du temps et sa manière dont il engloutit peu à peu tout un monde. Qu’il fasse référence ici à Vertigo (dont on aperçoit un court extrait) n’est évidemment pas un hasard : il s’agit de faire revenir une image aimée « d’entre les morts ». A un moment donné, Alexandre H. Mathis montre de très belles photos qu’il a prises de Pamela Stanford en 1976. Au fond, toute son œuvre cinématographique actuelle pourrait avoir comme but unique de faire revivre cette image du passé. La comédienne irrigue chaque plan, même lorsqu’elle en est absente (ce que traduisent bien ces plans de paysages où son image vient se surimprimer). En jouant sur ces vertiges temporels que traduisent bien le kaléidoscope d’images sans véritable chronologie, Mathis nous propose une belle méditation sur le temps qui détruit tout et sur la mort. Les mots de Poe infusent les images de notre époque : un escalier qui mène à un sous-sol, des plans d’eau qui évoquent la mort de Madeline et le film se charge de cette atmosphère si particulière lestée de mélancolie et de morbidité. 

Comme chez Chris Marker, tout le film n’a au fond qu’un seul but : retrouver et fixer pour l’éternité une image à jamais révolue. N’est-ce pas la plus parfaite définition du cinéma ?


 

© Alexandre H. Mathis

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