Patricia Mazuy, l'échappée sauvage (2022) de Gabriela Trujillo, Séverine Rocaboy, Quentin Mével (Playlist Society, 2022)

 

L'art de l'écart

Tandis que l'on peut voir en ce moment sur nos écrans l'impressionnant Bowling Saturne, le petit ouvrage que les éditions Playlist Society consacrent à Patricia Mazuy tombe à pic pour évoquer l’œuvre singulière d'une cinéaste pas comme les autres. En effet, Patricia Mazuy ne s'est jamais laissé enfermer dans des cases. Après des débuts fracassants avec Peaux de vaches, elle n'a pas hésité à faire des allées et venues entre le grand et le petit écran (Travolta et moi et La Finale ont été commandés pour la télévision), le film historique en costumes (Saint-Cyr) et le semi-documentaire (Basse-Normandie). Une des caractéristiques de son cinéma, c'est de rester toujours très ancré dans la réalité mais sans pour autant s'embourber dans le naturalisme. C'est particulièrement flagrant dans Bowling Saturne où les codes du film noir et l'arrière-plan qu'on pourrait rattacher à des questions de société (les violences faites aux femmes) sont littéralement happés dans une sorte de tragédie qui rejoint le mythe (l'héritage de la violence, la rivalité entre les deux frères) et interroge l'animalité nichée au cœur de l'être humain. Gabriela Trujillo, dans le court essai qui précède l'entretien, insiste sur cette manière qu'a la cinéaste de faire dérailler des éléments qui pourraient paraître familiers :

« Patricia Mazuy va continuer à travailler le motif du déraillement : l'intrusion d'un élément inattendu, qu'il s'agisse du retour d'un personnage, du déploiement d'une idée ou de la manifestation d'un sentiment, qui provoque une rupture dans le film, qu'elle soit narrative ou stylistique. »

On le rappelle encore une fois ici : la collection « Face B » de l'éditeur se caractérise par son petit format et par la place accordée aux mots des cinéastes qui reviennent sur leur œuvre. C'est particulièrement flagrant ici car l'essai, aussi bon soit-il (il l'est!), est très court et apparaît surtout comme une judicieuse introduction succincte à l’œuvre de Mazuy. Ensuite, la parole est donnée à la cinéaste qui revient sur chacun de ses films avec humour, un certain détachement et une capacité d'autocritique assez louable. Elle n'hésite pas, en effet, à souligner parfois ses lacunes au point de vue technique à ses débuts ou à dire ce qu'elle trouve raté dans certains de ses films (y compris les points faibles de son pourtant génial Travolta et moi).

Cet entretien permet de vérifier certaines hypothèses de spectateur : l'attachement de la réalisatrice aux lieux (la ferme de Peaux de vaches, la patinoire de Travolta et moi, le bowling de Bowling Saturne), son goût pour le cinéma de « genre » (en particulier le western), son attachement à une certaine idée « réaliste » du récit et des personnages combiné à un désir de fuir le naturalisme... L'ouvrage permet de découvrir ses méthodes de travail : les idées qui donnent naissance au film, la recherche de lieux expressifs (pour Bowling Saturne, la cinéaste avait des idées très précises quant au bowling, son entrée souterraine, éclairée par des néons rouges mais aussi sur l'appartement du père au-dessus, le commissariat où évolue le frère...), le travail avec les acteurs, avec les musiciens (notamment John Cale avec qui Mazuy a collaboré plusieurs fois...)

La cinéaste se montre finalement assez fidèle à ses films : sans surmoi « auteurisant » mais parvenant à tracer sa voie malgré les embûches et les aléas de la production (la plupart de ses films sont réalisés avec peu de moyens). Cette voix singulière qui est parvenue à s'imposer discrètement dans le paysage du cinéma français est précieuse : c'est ce que nous rappelle avec à-propos ce petit ouvrage très réussi.

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