Visages du cinéma italien : 34- Rino Di Silvestro
A seize ans dans l’enfer d’Amsterdam (1984) de Rino Di Silvestro avec Ann-Gisel Glass, Karin Schubert, Donatella Damiani
Avec cette chronique et les deux suivantes (quel art du « teasing » !), nous allons aborder les territoires les plus crapoteux du cinéma d’exploitation italien qui n’en fut pas avare. En seulement huit films, Rino Di Silvestro s’est taillé une petite réputation de réalisateur aussi sulfureux que racoleur. On lui doit notamment La Louve sanguinaire, une œuvre étrange mêlant fantastique et érotisme (je la cite car c’est la seule que j’avais pu voir du cinéaste jusqu’alors) et quelques titres s’inscrivant dans les sous-genres les plus controversés de la « sexploitation » : le film de femmes en prison (La Vie sexuelle dans les prisons de femmes en 1973) ou la « nazisploitation » (Les Déportées de la section spéciale SS en 1976). En 1974, il s’intéresse déjà à l’univers de la prostitution qu’il aborde dans le cadre d’un simili giallo (les agissements d’un maniaque sexuel) mâtiné de pornographie hard (Dossier rose de la prostitution).
Si l’on précise que le titre original d’A seize ans dans l’enfer d’Amsterdam est Hanna D – La Ragazza del Vondel Park, on aura compris que Di Silvestro surfe sans vergogne sur le succès de Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée, adaptation par Uli Edel du récit autobiographique devenu phénomène de librairie.
Le cinéaste y suit le quotidien d’Hanna (Ann-Gisel Glass), adolescente tombée dans la prostitution et qui va connaître, par un enchaînement de circonstances, l’enfer des drogues dures. Vivant seule avec une mère alcoolique et dépressive (Karin Schubert), elle tombe sous la coupe de petits macs malfaisants et trouvera une chance de s’en sortir en rencontrant un homme qui l’aime.
Si la prostitution reste « le plus vieux métier du monde », on pourrait dire également qu’elle est l’un des plus vieux sujets traités par le cinéma, de l’inoubliable Loulou de Pabst à la truculente prostituée incarnée par Noémie Lvovsky dans le récent Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie. La prostitution peut être abordée d’un point de vue humaniste (La Rue de la honte de Mizoguchi), sociologique (Vivre sa vie de Godard), naturaliste (La Dérobade de Duval), surréaliste (Belle de jour de Buñuel) voire romantique (Casque d’or de Becker, L’Apollonide de Bonello) ou poétique (Rosa la rose, fille publique de Paul Vecchiali). Mais au-delà de ce recensement lacunaire et schématique de quelques très grands films traitant de ce thème, la prostitution est évidemment un sujet croustillant pour nombre de cinéastes peu scrupuleux, avide d’attirer le chaland en lui procurant des frissons à peu de frais.
A ce titre, A seize ans dans l’enfer d’Amsterdam est sans doute l’un des films les plus racoleurs que j’ai pu voir sur l’univers sordide du trottoir. Dès la première séquence dans un train, le cinéaste joue sur le physique juvénile de sa jeune actrice (précisons néanmoins à l’égard de mes lecteurs vétilleux qu’Ann-Gisel Glass avait 19/20 ans au moment du tournage) en la filmant sous toutes les coutures et en lui plaçant une poupée dans la main (tu le sens, le symbole de l’innocence bafouée ?). La suite sera à l’avenant : érotisme extrêmement crapoteux, à l’image de la pauvre Karin Schubert qui s’exhibe une bouteille à la main, le visage baigné de larmes (avec ses quelques kilos en trop – ce qui n’est pas un reproche puisqu’elle est toujours magnifique-, on ne peut s’empêcher d’y voir une image pathétique de son existence réelle, starlette montante à la blondeur immaculée contrainte par la suite de finir sa carrière dans le porno), extrême complaisance dans la manière de montrer les aiguilles des seringues plantées dans les veines des prostituées… Pour accentuer ce caractère sordide, Di Silvestro ne recule devant rien : vomi, overdoses, crêpages de chignon entre prostituées (l’atroce doublage français accentue le caractère poissard des personnages)… On est bien dans de la pure exploitations avec cet aplomb pour dépasser les limites qui n’appartient qu’à nos amis transalpins. Même dans les films les plus sordides sur les bas-fonds urbains de la même époque en France (genre Rue barbare ou les polars musclés comme L’Exécutrice de Caputo ou Brigade des mœurs de Pécas), on n’imagine pas, par exemple, une scène aussi ahurissante que celle où une prostituée emprisonnée déculotte une autre détenue et lui sort de l’anus (en gros plan !) une petite capsule contenant de la drogue !
Ceux qui espéraient un regard de type « sociologique » sur la drogue et la prostitution passeront évidemment leur chemin puisque tout n’est prétexte qu’à émoustiller et à choquer, avant que l’amour rédempteur finisse par permettre une « happy end » totalement déconnectée du reste. Reste alors la performance assez habitée d’Ann-Gisel Glass qui parvient à garder une certaine classe dans cet univers glauque. Étrange carrière que celle de cette actrice qui débuta dans ce genre de films chargés d’érotisme (outre celui de Di Silvestro, citons le Premiers désirs de David Hamilton) avant de devenir une figure du cinéma d’auteur le plus pointu puisqu’elle tourna sous la direction de Godard (Détective), Doillon (La Tentation d’Isabelle), Assayas (Désordre) ou encore Tony Gatlif (Rue du départ). Sans elle, on aurait sans doute abandonné le film dès les premières minutes !
Bref : le résultat est sans le moindre intérêt si ce n’est la curiosité de découvrir jusqu’où pouvait aller ce cinéma d’exploitation italien.
NB : Autre curiosité de l’œuvre et qui la rattache encore plus au « bis » : c’est Bruno Mattei qui assure ici le montage (d’où peut-être l’aspect totalement décousu du récit).