Hitch, troisième !
Hitch, Hitch, Hitch, Hourra ! (Hitchcock par Hitchcock vol.3) (2024) d'Alfred Hitchcock (Marest Editeur, 2024)
Après Ferme les yeux et vois et Quoi est qui ?, Hitch, Hitch, Hitch, Hourra ! est le troisième recueil de textes consacrés à Hitchcock. Non pas sur le maître du suspense mais avec lui. Soit des textes qu’il a lui-même rédigés, soit des retranscriptions d’entretiens ou même d’une longue séance de travail entre Tippi Hedren et lui au moment de la préparation de Pas de printemps pour Marnie. Pour la plupart inédits en France, ces textes réunis et traduits par Frank Lafond et Pierre-Julien Marest nous permettent de retrouver le génie d’Hitchcock sous un angle légèrement différent que celui proposé par ses films. Le lecteur y retrouvera d’abord son inénarrable sens de l’humour mais également sa méticulosité, son perfectionnisme et la parfaite maîtrise de son art.
L’humour proverbial d'Hitchcock, on le retrouve principalement dans ses entretiens où avec un mélange de goguenardise et de désinvolture, il offre aux journalistes ce qu’ils ont envie d’entendre. Le cinéaste se défend d’être un « auteur » et préfère à cette notion celle de « movie maker » (faiseur de films), confessant son désir d’être avant tout « commercial » et de répondre aux attentes du public. Qu’il réponde de manière farfelue (à la question « qu’est-ce qui se passe après le mot fin ? » , il rétorque : « Demandez ce qui se passe après le mot « fin » de tous les films. Même s’il y a un happy end et que les amoureux s’embrassent, comment savons-nous qu’après le mot « fin » elle ne lui dit pas : « votre haleine est un peu forte. ») ou avec un certain humour noir (« Mon prochain film sera Cendrillon, mais il y aura un cadavre dans le carrosse ») ; Hitchcock prend généralement la tangente et se prête rarement au jeu de l’analyse et de l’interprétation (un peu plus avec Truffaut et Chabrol venus l’interviewer pour les Cahiers du cinéma en 1955). Mais ce sens de l’humour irrigue également certains de ses propres textes, notamment celui où il raconte comment il a rencontré Leo, le lion de la M.G.M (« La légende que colportent les publicitaires, selon laquelle Leo est difficile question nourriture, était manifestement destinée à calmer mes craintes. J’ai le regret de dire qu’elle s’est avérée inopérante car, en toute modestie, je me considère plutôt comme un morceau de choix, si je puis me permettre. ») ou dans celui où il élabore des scénarios pour déstabiliser le Kremlin.
Mais derrière cette façade légère, ce recueil permet aussi de (re)découvrir un Hitchcock qui connaît son métier sur le bout des doigts et qui ne laisse rien au hasard. Dès 1932, il aborde dans un entretien la question du dialogue et saisit immédiatement les enjeux du parlant et les risques que les dialogues l’emportent sur la dimension visuelle du cinéma : « Je crois que la parole peut constituer un atout certain si elle se met au service du sujet, exactement au même titre que les décors, la lumière et les ombres. En d’autres termes, l’histoire doit être essentiellement racontée par les images, indépendamment des dialogues, et l’on ne devrait produire que des histoires qui sont avant tout adaptées à un médium visuel. » Ces réflexions témoignent de la primeur qu’il accorde à la mise en scène bien qu’il ne prononce jamais ce mot. A tel point qu’il confie à Chabrol et Truffaut qu’il n’a pas besoin d’aller voir les rushes, ayant tout le film en tête. Dès l’étape de l’écriture, Hitchcock fait preuve de sa maîtrise. Dans le texte Des acmés à la pelle, il revient sur la construction de Correspondant 17 et ses cinq « climax ». Autre document passionnant : une correspondance avec Nabokov où Hitchcock lui propose deux sujets et cherche à s’assurer les services du grand écrivain qui lui propose également, en retour, quelques idées de synopsis.
Mais c’est sans doute dans la longue retranscription de l’enregistrement d’une séance de travail avec Tippi Hedren qu’Hitchcock témoigne le mieux de son perfectionnisme. Il est de bon ton désormais de n’évoquer cette relation que sous son angle « toxique » (pour reprendre un terme très prisé par la « novlangue ») et sans évidemment le nier, on peut voir ici un metteur en scène et une actrice dans une relation de travail plutôt apaisée, studieuse et l’élaboration méticuleuse d’une œuvre. Pas à pas, Hitchcock explique à son actrice toute sa démarche, ce qu’il attend d’elle et de son personnage, la manière dont il va traduire ses émotions en plaçant sa caméra, en jouant avec la colorimétrie… On réalise à quel point le cinéaste concevait ses films tels un démiurge régnant sur le moindre petit détail, s’interrogeant sur la meilleure manière de traduire visuellement ses idées sans recourir à des effets jugés « faciles » ou éculés. Le document est vraiment passionnant, même si on n’a pas toutes les images de Marnie en tête (j’avoue ne pas l’avoir revu depuis très longtemps).
Ce document complète à merveille un panorama riche et varié, dévoilant quelques nouvelles facettes de la personnalité facétieuse d’Hitchcock. Le recueil se termine par une savoureuse petite chronique de Gérard Guégan à qui nous voleront sans vergogne notre conclusion :
« (…) Hitchcock, rond et caustique, passait soit pour un farceur (l’humour britannique, n’est-ce pas ?), soit pour un pur esprit (le génie hollywoodien respecté par ses pairs), alors qu’Anglais et catholique, il fut comme Chesterton, grave et obscène, touché par la Grâce et pécheur impénitent.
On appelle cela un artiste. »