Mania (1974) de Renato Polselli avec Ivan Giordan, Isarco Ravaioli, Eva Spadaro

Visage(s) du cinéma italien : 48- Renato Polselli

Il est toujours très tentant, lorsqu'on aborde des productions fauchées et improbables, d'avancer la référence à Ed Wood. Pourtant, ce lieu commun me semble relever souvent de la facilité car ce qui caractérise les films du réalisateur américain n'est pas seulement l'absence de budget ou des compétences techniques limitées mais une véritable folie qui le pousse à coller dans un même mouvement les éléments les plus hétéroclites qu'on puisse imaginer (souvenons-nous des avertissements sibyllins du mage Bela Lugosi dans Glen or Glenda). En ce sens, quelqu'un comme Jean Rollin n'a rien d'un « Ed Wood français » car ses budgets lilliputiens ne l'empêchent à aucun moment de développer un univers cohérent et (plus ou moins) maîtrisé dans la droite lignée du roman populaire de la fin du 19ème siècle et des grands mythes du fantastique. Toutes ces circonvolutions pour dire qu'en découvrant Mania, le cinéphage peut s'appuyer sans risque sur l'étalon Wood pour tenter de définir l'étrange objet non identifié qu'il a découvert. Ne prenons qu'un exemple : mariée à un scientifique, Liza s'entretient avec lui dans un improbable laboratoire où une bétonneuse fait office de machine électronique sophistiquée. Celui-ci lui explique les recherches qu'il est en train de mener : « avec cette radiation, je peux contrôler une abeille et l'arrêter en plein air ». Admiratif sans toutefois bien réaliser ce que peut apporter une telle innovation, le spectateur apprendra par la suite que Brecht (c'est le nom du savant!) entend ainsi éradiquer toutes les maladies (le rapport avec les abeilles n'est pas évident mais ne nous égarons pas). Malheureusement, Liza se sent délaissée et va séduire le frère jumeau de Brecht. La suite est un peu confuse : Brecht découvre l'adultère et étouffe sous un sac plastique son assistante Erina qui voulait prévenir Liza. Par chance, elle ne meurt pas (elle termine pourtant dans un drôle d'état, inanimée et du sang plein la bouche) mais se retrouve... sourde-muette ! (et pourquoi pas?). Quand survint un beau jour un incendie dans le laboratoire de Brecht, son épouse qui possède la clé du cachot (pourquoi s'est-il enfermé?) le laisse cramer. Depuis, elle est persuadée que l'esprit de son mari la pourchasse, notamment lorsque une voiture sans chauffeur la poursuit et manque de provoquer un accident. Avec un aplomb assez sidérant, l'homme qui l'accompagne lui rétorque de manière très logique qu'elle a dû rêver et que le conducteur s'est sans doute baissé pour ramasser quelque chose au moment où il doublait !

 

Comme tout le film est placé sous le signe du cartésianisme le plus rigoureux, un docteur conseille à Liza de soigner le mal par le mal et de s'installer dans la maison de son ex-mari afin de constater que ses peurs sont infondées...

Ces longues lignes de résumé ne traduisent en aucun cas la teneur délirante de ce film où rien de logique n'advient. Polselli construit son récit (ouh le grand mot!) sur une succession de flash-back et de scènes fantastiques improbables. Ce qui est amusant, c'est de se dire que le cinéaste a débuté dans le cadre du cinéma gothique, signant en 1960 La Maîtresse du vampire et L'Orgie des vampires en 1964. Or il subsiste dans Mania des réminiscences de cette tradition gothique : demeure « hantée » par le spectre du mari défunt, crypte ténébreuse... Mais Polselli en propose une version dégradée en ajoutant des ingrédients venus du « giallo » (une possible machination), de l'horreur pure (le sang qui gicle après un égorgement) et surtout du psychédélisme avec des nappes sonores stridentes ou des riffs de guitares très 70'. L'ensemble est totalement délirant (il faut voir les apparitions clownesques du mari défunt en spectre méphistophélique), incongru, involontairement drôle et finalement assez touchant. Polselli a visiblement tourné son film avec trois queues de radis dans la villa de son acteur Ettore Elio Arico et il tente tant bien que mal de faire vivre une histoire sans queue ni tête. Mais comme chez Ed Wood, on sent un certain amour pour le cinéma, une volonté de bricoler sans arrêt et d'y croire malgré tout.

Le résultat est une pure série Z à réserver aux amateurs de ce genre de curiosité invraisemblable. De notre côté, nous reviendrons avec plaisir vers le cinéma de Renato Polselli.

Retour à l'accueil