Visage(s) du cinéma italien : 52- Alberto de Martino
Holocaust 2000 (1977) d’Alberto de Martino avec Kirk Douglas, Agostina Belli, Simon Ward
J’ai l’impression d’avoir souvent à me répéter lorsqu’il s’agit d’évoquer ce vaste continent qu’est le cinéma italien mais en abordant la carrière d’Alberto de Martino, il me semble difficile de faire autrement. En effet, ce cinéaste est peut-être celui qui représente le mieux une certaine forme d’artisanat visant à exploiter jusqu’à épuisement la plupart des filons juteux avant de passer à un autre. Ayant débuté comme réalisateur au début des années 60, il s’attaque à un genre extrêmement populaire à l’époque, le péplum, pour signer entre autres Le Gladiateur invincible (1961) et Persée l’invincible avec Richard Harrison en 1963. Par la suite, il va systématiquement s’illustrer dans les genres en vogue de son époque. En 1963, il réussit son incursion dans le cadre du cinéma gothique avec Le Manoir de la terreur, même s’il n’atteint pas les sommets que furent Le Masque du démon de Bava ou Danse macabre de Margheriti. Dans la lignée de Leone et Corbucci, il signe quelques westerns que je n’ai pas vus mais dont les titres traduisent parfaitement l’esprit de ce cinéma d’exploitation (Cent mille dollars pour Ringo, Django tire le premier). A la fin des années 60, il s’illustre dans « l’euro spy » (ces films d’espionnage légers et semi-parodiques dans la foulée des James Bond) avec Espionnage à Capetown (avec tout de même Karin Dor et Rosalba Neri) ou encore Opération frère cadet avant de négocier un virage vers le giallo : Perversion (1969) avec Dorothy Malone et L’Uomo dagli occhi di ghiaccio (1971) avec Barbara Bouchet.
Dans les années 70, Alberto de Martino mettra son talent d’artisan au service d’autres filons en vogue : le « poliziottesco » (Spécial Magnum en 1976), le western parodique (On remet ça, pas vrai Providence ? en 1973), le film de mafieux post-Parrain (Le Conseiller) ou encore des films fantastiques très influencés par les grands succès d’outre-Atlantique, qu’il s’agisse de l’étonnant L’Antéchrist, relecture typiquement « méditerranéenne » de L’Exorciste ou encore cet Holocaust 2000 qui évoque parfois La Malédiction de Richard Donner.
Avant toute chose, il convient de noter qu’en dépit de ce côté artisanal et un tantinet roublard, Alberto de Martino ne joue pas dans la même division que certains tâcherons du « bis » ne misant que sur des recettes éculées pour appâter le chaland. Si ses films sont parfois traversés par des instants déviants étonnants (le sabbat de L’Antéchrist, la scène onirique d’Holocaust 2000 où Kirk Douglas – ou sa doublure ?- court cul nu dans un désert de sel) ; ils restent tenus et réalisés avec un certain soin. Coproduction anglo-italienne, Holocaust 2000 bénéficie même d’un budget conséquent qui lui permet d’attirer une vedette internationale (Kirk Douglas) et de bénéficier d’un casting solide (la belle Agostina Belli qui fut la vedette de quelques réussites de Risi – Parfum de femme, La Carrière d’une femme de chambre- et tourna pour Fulci, Festa Campanile, Robbe-Grillet, Sollima ou encore dans le beau giallo de Bazzoni Journée noire pour un bélier).
Robert Caine (Kirk Douglas) est un riche homme d’affaire qui entreprend de construire en plein désert une centrale nucléaire si puissante qu’elle pourra alimenter en énergie tout le tiers-monde. Il travaille de concert avec son fils, Angel (Simon Ward), mais de mystérieuses inscriptions découvertes dans une grotte laissent planer la menace de l’arrivée imminente de l’antéchrist. D’ailleurs, tous les opposants au projet de Caine disparaissent violemment, dans des conditions plus ou moins mystérieuses.
L’intérêt du film tient à l’équilibre que le cinéaste parvient à maintenir entre la dimension fantastique et surnaturelle du récit et une sorte de fable sur le devenir de l’humanité. Holocaust 2000 emprunte de nombreux éléments à La Malédiction de Donner, notamment celui de ce personnage de fils inquiétant, vêtu de blanc et incarnant une figure diabolique. S’appuyant sur la Bible et plus particulièrement le livre de l’Apocalypse, le cinéaste met en garde contre le progrès scientifique (« un camion sans frein dans une descente ») et les dangers de destruction totale qu’il fait planer sur l’humanité. Si la religion semble le remède indiqué contre cet « antéchrist », Alberto de Martino se montre en fait plus méfiant à cet égard, jouant sur les ressorts bibliques davantage pour faire avancer son récit que pour asséner des mises en garde moralisatrices. Déjà dans L’Antéchrist, il montrait les dérives du fanatisme religieux. Ici, il montre un prêtre tellement obnubilé par sa théorie qu’il est prêt à forcer la jeune compagne de Caine (Agostina Belli) à avorter le temps d’une scène cauchemardesque très réussie où chaque instrument médical, filmé en grand angle, renforce le sentiment d’oppression de la jeune femme. D’un point de vue cinématographique, cette dimension fantastique est parfaitement campée grâce à une mise en scène solide, s’appuyant de façon très habile sur les décors (cette clinique psychiatrique avec ses cloisons de verre), des échappées oniriques (la scène de cauchemar de Kirk Douglas qui se mêle à une scène d’amour gentiment érotique) et quelques éclats plus horrifiques (une tête fracassée par la pale d’une hélice d’hélicoptère, une grille qui s’abat lourdement sur le dos d’un scientifique, un « fou » qui se tranche les veines…)
Mais plus intéressante peut-être encore est cette manière dont Alberto de Martino désamorce le côté « spectaculaire » de ce fantastique, notamment lorsqu’il conclut son œuvre. Car au bout du compte, c’est moins l’aspect surnaturel qui l’intéresse que de faire émerger une certaine inquiétude de la fable. Il s’agit de montrer ici les dangers du Béhémoth nucléaire et de la catastrophe écologique déjà en cours en 1977 (ce dont témoignent les manifestants qui s’opposent à la construction de la centrale). A ce titre, le recours à la fable biblique permet de faire ressurgir une forme de millénarisme et d’alerter sur la possibilité d’une extinction immédiate de l’espèce humaine.
Le cinéaste a parfois la main lourde sur le symbolisme (le fils diabolique s’appelle « Angel »), certains passages sont un peu plus faibles (le côté fleur-bleue de la liaison Douglas/Belli, notamment lorsqu’ils donnent à manger à une petite biche) mais près de 50 ans après la réalisation de ce film, le propos reste pertinent.
Loin de la resucée opportuniste d’un succès du cinéma américain, Holocaust 2000 s’avère être un film curieux et plutôt réussi, à la fois artisanal mais bénéficiant de suffisamment de moyens et de talent pour donner corps à une vision plutôt sombre de l’avenir.