Culture pub
Le Film publicitaire, chef-d’œuvre (2024) de Luc Chomarat (Playlist Society, 2024)
« Il n'existe pas encore, à ma connaissance, de littérature consacrée au film publicitaire. L'objet de ce livre est d'attirer l'attention sur cet exercice particulier, qui fait partie du paysage audiovisuel et donc de la culture populaire, de s’intéresser à ce qui en fait la spécificité, et d'en proposer une lecture historique ».
Dès les premières phrases de son essai, Luc Chomarat circonscrit l'objet de son étude et sa méthode : il s'agira d'analyser la publicité avec les outils de l'analyse filmique traditionnelle (grammaire cinématographique, politique des auteurs, approches thématiques...) et de donner à cet objet impur et méprisé le statut d’œuvre à part entière.
Quiconque à lu ces pépites que sont Les Dix Meilleurs Films de tous les temps ou L'Invention du cinéma connaît l'humour pince-sans-rire de Chomarat et son approche iconoclaste de l'histoire du cinéma. Une des grandes forces du Film publicitaire, chef-d’œuvre, c'est que le lecteur retrouve immédiatement son style élégant, ciselé et drôlatique. Mais l'auteur est également parvenu à fondre ces qualités d'écriture dans le moule des éditions Playlist Society qui, je le rappelle, cherchent à vulgariser (au sens noble du terme) leurs objets d'étude, souvent venus de la culture « pop ».
Le résultat est un livre original, stimulant et dont la démonstration s'avère convaincante même pour le lecteur le plus rétif à la publicité (comme c'est le cas de votre serviteur). Chomorat s'attarde dans un premier temps sur le paradoxe qu'il y a à se pencher sur le film publicitaire. D'abord parce qu'il s'agit d’œuvres qui cherchent avant tout à vendre un objet, non pas à proposer un regard sur le monde. Ensuite parce que ce sont des films que personne n'a envie de voir mais qui sont imposés au public :« On peut présumer que ce public est au mieux indifférent, au pire hostile au spectacle proposé. »
Partant de ces postulats, Chomarat montre comment la pub a néanmoins réussi à créer un langage qui s'apparente souvent à celui des longs-métrages. Fixant l'âge d'or du film publicitaire aux années 80, l'auteur analyse de nombreux exemples en montrant comment les pubs ont pu jouer sur l'exotisme et l'érotisme ou faire de la contrainte du format une force (« Ovomaltine »). A sa manière, le film publicitaire a également réutilisé les codes des films de genre : le film de casse, la comédie musicale et la chorégraphie à la Busby Berkeley de la pub Évian (Pierre-Julien Marest et Séverine Danflous y consacrent également un superbe chapitre dans leur livre de référence sur le cinéaste/chorégraphe), le biopic voire même la série Z.
Par la suite, Chomarat s'intéresse également à l’œuvre publicitaire de certains auteurs, qu'il s'agisse d’Étienne Chatiliez, Jean-Paul Goude, Serge Gainsbourg, Michel Gondry ou Quentin Dupieux. Il note aussi à quel point les publicités tournées par un Bertrand Blier, par exemple, résonnent avec l'ensemble de son œuvre : « le pathos dans les rapports de couple, la gouaille héritée de Michel Audiard, une part revendiquée de surréalisme et d'absurde, de soudaines ruptures de ton, un goût pour le monologue » (tout ça pour une publicité pour les Trois Suisses et son fameux leitmotiv « j'ai embouti la voiture »)
A travers tous ces exemples, l'essayiste montre avec une certaine subtilité comment la publicité a aussi su humer l'air du temps et a dû s'adapter aux évolutions sociétales. A titre d'exemple, il nous offre une délicieuse analyse de l'évolution des publicités pour Audi et le rapport aux femmes qu'elles ont instituées ou cite encore la pub Marshmallow où une Juliette Binoche toute jeune se gave de guimauves, empêchant de fait de comprendre un quelconque mot de son discours, en précisant qu'à l'heure des injonctions à manger cinq fruits et légumes par jour et à pratiquer une activité sportive régulière, elle serait rigoureusement inenvisageable (la pub, pas Juliette Binoche). Lorsqu'il aborde des objets publicitaires plus singuliers comme la bande-annonce, Luc Chomarat souligne d'ailleurs les contraintes différentes qu'elles subissent :
« Un des paramètres qui permet de faire la différence à coup sûr est l'aspect juridique du spectacle proposé. Si quelqu'un fume, boit de l'alcool, profère une grossièreté, s'adonne à un comportement sexuel quel qu'il soit, ne met pas sa ceinture en voiture, roule à plus de quarante-cinq kilomètres heure en zone urbaine, mange avec appétit, parle de politique ou de religion, exprime une opinion sur un problème de société, alors ce n'est pas une publicité. Ou bien elle appartient à la catégorie des grandes causes : les films qui avertissent contre le tabagisme passif ou les rapports non protégés mettent nécessairement en scène les contrevenants. »
Au bout du compte, l'auteur montre que la pub a suivi un peu le même chemin que le cinéma hollywoodien où la singularité a été noyée dans le blockbuster marvelisé. Avec l'avènement d'Internet et le morcellement des publics, les annonceurs ont désormais peur de se mettre à dos une partie dudit public. Ils ne prendront plus « le risque d'une allusion, même légère et bienveillante, à une orientation sexuelle, une appartenance religieuse, une catégorie sociale, et d'une manière générale à tout ce qui peut provoquer un phénomène d'identification. »
Sans avoir l'air d'y toucher, Luc Chomarat décortique avec une certaine malice ce que disent les publicités actuelles sur notre époque.
En guise de conclusion, il s'intéresse à des objets singuliers relevant d'une certaine manière de la publicité : la bande-annonce, la séquence générique, le clip, les logos au cinéma... Toutes les réflexions proposées sont passionnantes même si elles ont le défaut d'être un peu trop courtes. Ce n'est évidemment pas une réserve puisque, faute de place, il n'était pas question de traiter tous ces thèmes en profondeur. Nous dirons donc qu'il s'agit, de notre côté, d'un simple souhait : que Luc Chomarat s'attelle désormais à un ouvrage exclusivement consacré aux bandes-annonces, puis un autre au clip et ainsi de suite...