Les lecteurs réguliers de ce blog n’ignorent sans doute pas que je considère Jean-Pierre Bouyxou comme le meilleur historien du cinéma ni toute l’admiration que je peux lui porter (à tel point que Christophe Bier m’a gentiment et tendrement qualifié de « bouyxoudolâtre »). Je ne reviendrai donc pas sur ses multiples activités : essayiste (l’indispensable Aventure hippie), journaliste (il tint quasiment seul les rênes, pendant 30 numéros, de la géniale revue Fascination), romancier (une douzaine de roman érotico-subversifs parus sous les bannières Bébé Noir et La Brigandine), réalisateur (de films expérimentaux et pornographiques), scénariste (pour Jean Rollin et Michel Barny), acteur (chez Jess Franco, par exemple), agitateur hors-pair (voir la belle notice que lui consacre Noël Godin dans L'anthologie de la subversion carabinée) et j’en passe. Pour ne pas faire trop long, je n’insisterai que sur un point, et je pense que quiconque a eu la chance de fréquenter un jour Jean-Pierre me donnera raison : son incroyable générosité.

Lorsque je suis entré en contact avec lui pour la première fois, c’était à l’occasion de l’article que je projetai d’écrire sur les éditions La Brigandine. Alors que j’étais un parfait inconnu et que la revue dans laquelle devait paraître mon papier (l’excellente Chéri-Bibi) ne bénéficiait d’une petite renommée que chez quelques initiés ; Jean-Pierre m’a accueilli chaleureusement et s’est longuement entretenu avec moi au téléphone, en toute simplicité. C’est ensuite grâce à lui que j’ai obtenu de nombreux contacts avec le directeur de ces mythiques collections et certains romanciers. Je n’oublierai jamais la gentillesse de ces personnes et mon seul regret est de n’avoir pas eu la chance de rencontrer « en vrai » des personnalités aussi attachantes et adorables que Jean-Claude Hache, Jacques Boivin ou le cinéaste Philipe Bordier aujourd’hui disparues.

Par ailleurs, Jean-Pierre est toujours disponible lorsqu’il s’agit de répondre à une question et il n’est jamais avare en anecdotes (passionnantes), en découvertes étonnantes…  

Il y aurait énormément de choses à dire sur Jean-Pierre mais je ne voudrais pas que cette présentation prenne des allures de notices nécrologiques. Alors je conclurai en disant que j’ai été ravi de pouvoir le rencontrer, que j’espère bien que d’autres occasions de boire un verre ensemble se présenteront (je n’en doute pas !) et que sa contribution pour les 10 ans de mon blog me va tout simplement droit au cœur…

molinier.jpg

***

Dix ans seulement ? C’est incroyable ! J’ai l’impression, ami Orlof, de vous connaître depuis toujours. J’aime la belle élégance et l’absence de fioritures de votre style, j’aime votre probité intellectuelle, j’aime votre façon de raisonner et d’arraisonner, j’aime votre intelligence et votre culture, j’aime votre humour et votre sensibilité, j’aime votre modestie et votre assurance, j’aime votre goût de l’argumentation et de la (dé)mesure. J’aime vous lire, et je parcours votre blog comme je parcourrais les lettres d’un confident. Vous me faites plaisir, vous me faites du bien – et n’allez surtout pas, chenapan, chercher dans ces sincères compliments la moindre connotation érotique !

En fait, vous m’émouvez. Je ne partage pas toutes vos options critiques (je me contente d’en partager la plupart), mais je suis régulièrement frappé et touché par la justesse de vos analyses, par leur précision scrupuleuse, par l’honnêteté désarmante avec lesquelles vous les exprimez. Vous ne cherchez pas à imposer vos ressentis, vos foucades, vos détestations, vos colères, vos enthousiasmes. Vous vous ingéniez plutôt à les faire comprendre, à les faire partager. Si vous avez des doutes, si vos avis évoluent, vous n’hésitez pas à l’écrire. Il y a parfois, peut-être, et c’est tout à votre honneur, un peu de candeur dans votre démarche. Mais on y trouve essentiellement, à coup, sûr, une formidable et chaleureuse passion.

Et puis vous avez une qualité très rare, très précieuse, que j’apprécie infiniment : vous êtes éclectique. Loin de tout sectarisme, vous refusez les sottes hiérarchisations et mettez la même chaleur communicative à saluer les chefs-d’œuvre, reconnus ou non, et à défendre d’indéfendables nanars pourvu qu’ils vous plaisent. Vous n’êtes allergique ni au classicisme (qui, vous l’avez admirablement compris, n’a rien de commun avec l’académisme) ni à la désinvolture – qui, d’ailleurs, peuvent très bien, pas si paradoxalement que ça, aller de pair. Un film intello, si austère soit-il, a autant de chances de vous séduire (ou de vous rebuter) qu’un petit film dit « de genre », si débraillé puisse-t-il sembler. Nous ne sommes pas si nombreux à placer a priori sur un plan d’égalité Walsh et Corbucci, Méliès et Markopoulos, Eisenstein et Franco, Keaton et les Trois Stooges, Hollywood et Bollywood, la flamboyance et le bordélisme, les superproductions richissimes et les séries Z faméliques, le cinoche expérimental le plus radical et le cinoche porno le plus crado…

Je vous considère, Orlof, comme une sorte de frère en cinémaboulerie. Un petit frère, et même un tout petit frère, puisque j’aurais pu, déjà chenu, vous faire sauter sur mes genoux alors que vous portiez encore des couches-culotes, mais un frère quand même. Et ne rigolez pas, s’il, vous plaît. Je suis très sérieux. La preuve : pendant toutes les lignes qui précèdent, j’ai oublié que nous nous tutoyons. Comme des frères, justement.

Retour à l'accueil