La passionnante contribution de Damien va nous permettre de nous replonger dans la blogosphère d’il y a une dizaine d’années. C’est peu dire que ce témoignage m’évoque de nombreux souvenirs même si l’aimable intervenant évoque un « cercle » que je ne fréquentais que de loin. Car comme sur les réseaux sociaux aujourd’hui, tout est question de groupes et d’affinités. Les blogs cités m’intéressaient tous mais je me sentais éloigné d’eux, à l’exception notable de Ludovic qui fut toujours très accueillant et volontiers prêt à échanger. Je me souviens néanmoins avoir sollicité quelques-uns de ces « blogueurs influents » pour mon grand questionnaire sur les films les plus érotiques de l’histoire du cinéma et c’est avec un certain plaisir que je les suis aujourd’hui sur Facebook où je les ai retrouvés (Pascal Z., Guillaume O., Sandrine M., Jean-Sébastien C, Sébastien B…)

Quant à Damien, il a tenu pendant un certain temps un blog que je trouvais passionnant mais qui a malheureusement disparu aujourd’hui. Et c’est toujours un grand plaisir de  pouvoir discuter avec lui, que ce soit chez moi ou Ludovic. Je le remercie donc chaleureusement pour ce petit voyage dans le temps qui devrait rappeler des souvenirs à plus d’un…

 

***

 

Cher docteur Orlof,

 

   C’est avec plaisir que j’ajoute sinon ma pierre, du moins quelques grains de sable à l’édifice en forme de pièce montée patchwork pour cet anniversaire bloguien. Parcourant vos archives afin de me rafraîchir la mémoire, je constate finalement que, depuis le temps, j’ai laissé assez peu de commentaires chez vous. Nous avons plus souvent dialogué chez d’autres, Ludovic Maubreuil surtout. Mais c’est que 1) je suis assez souvent d’accord avec vous et 2) j’ai d’énormes lacunes. Disons-le, des pans entiers de cinématographie me sont à peu près inconnus : cinéma bis, séries Z, giallo, films de zombies, blaxploitation, bruceploitation et autres n-ploitations, niches diverses et clapiers, sub-genres et parallèles, chambara, pinku eiga et autres catégories japonaises, que sais-je ? C’est souvent un régal de lire ces comptes-rendus de films insoupçonnables que je ne verrai peut-être jamais.

   A vrai dire, je ne me souviens plus comment j’ai découvert votre blog : peut-être un lien depuis celui de Boulet, à moins que ce ne soit l’inverse ? Peu importe. Il me semble que je ne vous lis peut-être pas depuis le tout début, mais pas très loin : je dirais à vue de nez printemps 2005. Je voudrais, pour les arrivants plus tardifs et les archéologues futurs, apporter mon témoignage et esquisser le contexte blogistique de ce temps.  J’étais alors entré dans la blogosphère grâce à la bande dite kaywa : J(…)-S(…), Moland Fengkov, Sandrine de Contrechamp, Sébastien Bénédict, un quarteron de cinéphiles qui avaient la faculté de penser les images avec les images. Tout près d’eux s’ébattaient de singulières personnalités blogoresques. Pascal Z agençait dans ses ruines circulaires, tel un Borgès 2.0, une nouvelle médiathèque de Babel. Nicolas Versac élaborait une imparable stratégie de conquête médiatico-politique au succès impressionnant, qui le conduira – entre autres exploits – à dialoguer avec Valéry Giscard d’Estaing en personne. Guillaume Slothorp affûtait ses flèches stylisées, polémiques et sarcastiques. Thomas Anaximandrake délivrait de fulgurants oracles sous forme d’aphorismes et de notules philosophiques. Skoteinos croquait, à la pointe sèche, la bêtise contemporaine dans un grand ricanement iconoclaste. Tout cela formait une sorte de club qui m’accueillit aimablement. On parlait beaucoup de cinéma, mais pas seulement. Les débats étaient vifs, parfois âpres, mais toujours courtois. Nous n’étions pas dupes : tout cela n’avait pas la moindre importance. Un certain Serge Danette venait de temps en temps nous rappeler à une salutaire dérision. Certains soirs à partir de minuit, on se délectait des quiz interdits de Contrechamp.  A côté, mais pas très loin, Zohiloff tenait, seul contre tous, son journal intime, une logorrhée malveillante suintant la bave et le ressentiment, d’où émergeait parfois une trouvaille saisissante. Il y avait aussi le mystérieux Scanner qui, dans un franglais ingénieusement bricolé, montrait un savoir proprement encyclopédique du cinéma à chaque intervention. Et déjà l’insubmersible Ludovic arborait son pavillon Cinématique de cinéphile dissident, exigeant et passionnant.  

   Voilà (de mon point de vue) la toile de fond blogographique où vous apparûtes, mon cher docteur. Il s’avéra assez vite que vous n’étiez pas un simple dilettante qui se contente, comme tant d’autres, de raconter et d’évaluer les films au fur et à mesure qu’il les visionne, mais un défricheur, un passionné, un qui voudrait pouvoir voir tous les films, un qui arpenterait le cinéma par toutes ses faces mais aussi ses sentiers escarpés et ses chemins de traverse sans négliger les passages secrets, souterrains engloutis et galeries troglodytes.  Le cinéma nous surprend toujours, voilà ce que vous nous redémontrez constamment. Ainsi votre cinéma(ra)t(h)on,  dont l’exploration systématique a pris les dimensions d’une épopée aussi folle et sidérante que l’entreprise de Gérard Courant elle-même. Votre curiosité insatiable est communicative. J’admire aussi beaucoup votre capacité d’échange. Les multiples témoignages qui arrivent pour célébrer ces dix ans de blog attestent la solidité de votre réseau cinéphilique, consolidé par les nombreuses aventures collectives de critique cinéma. Elles révèlent aussi la profonde sympathie que vous inspirez. Je vous collerais bien le slogan que Marcel Dalio avait inscrit sur sa carte de visite : « Redemandé partout, libre de suite ».

 Dalio.jpg

Je vous souhaite un bon anniversaire, et une nouvelle décennie blogocinéphilique encore plus riche en films et en rencontres.

Retour à l'accueil