Révision déchirante
La ronde de nuit (2007) de Peter Greenaway avec Martin Freeman
Ce n’est pas de gaieté de cœur que je me présente à vous pour dire du mal du dernier film de Greenaway car voilà un cinéaste que j’ai beaucoup aimé. C’est d’ailleurs en souvenir de cette tendre affection que je me suis rendu dans les salles pour voir La ronde de nuit, premier film du cinéaste à être distribué en France depuis 10 ans (8 femmes ½, que je n’ai pas vu, date de 1998 !).
Est-ce moi qui ai changé ou ce changement s’est-il produit chez Greenaway pour que je sois ainsi déçu ? Sans doute les deux mon général bien qu’a priori, La ronde de nuit s’inscrit parfaitement dans la continuité d’une œuvre hantée par les rapports ambigus entre l’Art et le Réel.
Tous les films de Greenaway mettent en scène un artiste (plus ou moins un alter ego du cinéaste) qui tente par son Art de saisir d’une manière globale la complexité du Réel. Cela va de la peinture (Meurtre dans un jardin anglais) à la littérature (Prospero’s books, The Pillow book) en passant par l’architecture (Le ventre de l’architecte) ou la photographie (Zoo).
Mais à chaque fois, le cinéaste termine sur le constat d’un échec patent à « mettre sous cloche » le Réel, à figer le mystère de la vie (et donc de la mort) : c’est le mécanisme de l’appareil photographique qui tombe en panne dans Zoo lorsque les jumeaux tentent de capturer leur propre mort, c’est la statue vivante de Meurtre dans un jardin anglais (idée géniale !), c’est l’incapacité de maîtriser un espace global même en le « compartimentant » par différentes couleurs (le cuisinier, le voleur, sa femme ou son amant) ou un complexe réseau de chiffres (Drowning by numbers).
En mettant en scène un Rembrandt qui tente, en peignant la milice bourgeoise d’Amsterdam dans sa toile La ronde de nuit, de dévoiler des pans obscurs du Réel ; Greenaway poursuit le travail qu’il a toujours accompli. Et lorsqu’un homme, sur la fin, vient reprocher au peintre d’avoir tenté de représenter la vie mais de n’avoir, au bout du compte, saisit que le jeu de comédiens, nous sommes toujours dans cette thématique de l’échec de l’Art à saisir l’essence du Réel (pour le dire un peu pompeusement).
Alors pourquoi cela ne fonctionne-t-il plus ? Déjà parce que ça n’a peut-être jamais fonctionné et que les réticences que j’avais pour les derniers Greenaway (Prospero’s books, The baby of Macon…) étaient sans doute justifiées !
Le problème de ce cinéaste, c’est qu’il ne fait pas…de cinéma. La ronde de nuit est, en majeure partie, composé de plans d’ensemble, toujours très frontaux. Ce ne sont pas des plans articulés entre eux mais une suite de tableaux, magnifiquement composés d’un point de vue strictement pictural (je ne le nie pas !) mais où l’on finit par étouffer complètement.
Beaucoup de peinture donc, beaucoup de théâtre aussi (on déclame à la manière du théâtre élisabéthain) mais aucune volonté de donner une forme à ce théâtre filmé (il y a plus de cinéma chez Guitry, dirais-je par provocation !).
Vous allez me dire que Greenaway a toujours fait ça et que si j’étais logique, il faudrait renier toute son œuvre. Si je ne le fais pas, c’est pour une raison très simple : un aspect qui m’a toujours beaucoup plu chez ce cinéaste allumé, c’est le côté ludique et taxinomiste de ses films. La volonté de mainmise sur le réel passait alors par toutes sortes de jeux plus ou moins biscornus (les chiffres de 1 à 100 planqués dans les plans de Drowning by numbers, par exemple). Or je trouve que cet aspect a totalement disparu de La ronde de nuit. En abordant la Culture avec un grand C (Rembrandt, ma chère ! Le clair-obscur !), son cinéma s’est totalement guindé et n’est plus exempt d’une certaine pompe.
J’espérais une sorte de thriller (c’est ce que laissais entendre le résumé du film) où la toile du peintre donnerait lieu à des tas de digressions sur les personnages peints afin de percer leurs mystères (à l’instar du peintre de Meurtre dans un jardin anglais tentant de résoudre une affaire criminelle grâce à sa toile). Hélas il n’en est rien et le film se limite à un défilé vite fastidieux de tableaux certes très décoratifs mais ennuyeux à mourir (plus de 2h15 : ce film est interminable !).
Un trait d’humour « british » soulève parfois un peu notre attention mais l’ensemble est très, très décevant…