Un dimanche à la campagne
L’heure d’été (2008) d’Olivier Assayas avec Charles Berling, Juliette Binoche, Jérémie Rénier, Edith Scob
Une certaine intendance du cinéma français ! Je sais, le jeu de mots a déjà été moult fois employé et il n’est pas impossible que je me répète en rentrant directement ainsi dans le dernier opus du très soutenu Olivier Assayas. Et pourtant, je n’ai même pas envie de m’énerver car l’heure d’été ne le mérite pas. Juste souligner que les critiques branchés qui soutiennent inconditionnellement Assayas comme un parangon de la modernité, louent en fait du bon cinéma de papa à l’ancienne, la bonne vieille « qualité française » remise au goût du jour.
L’heure d’été s’inscrit dans la ligne directe d’un dimanche à la campagne de Tavernier : des problèmes familiaux et de mémoire à transmettre, du cinéma psychologique plutôt ennuyeux et explicatif (ah ! ce plan de Charles Berling de dos dans l’obscurité qui dit toute la douleur du personnage sans trop s’approcher de lui !), du cinéma bourgeois sans aucun mordant ni aucune inventivité.
Quand je dis « bourgeois », je ne reproche absolument pas à Assayas d’avoir situé son film dans un milieu huppé (ce n’est en aucun cas un problème) mais de ne jamais se départir d’un regard bourgeois. Regard bourgeois sur la vieille domestique à qui Berling n’hésite pas à offrir un beau vase même si, le cinéaste le souligne bien, elle n’a aucune idée de sa valeur marchande et artistique. Ah ! Elle est bien sympathique cette fidèle et dévouée bonne qui va poser des fleurs sur la tombe de sa patronne mais le regard qu’Assayas pose sur elle suinte le paternalisme à l’ancienne le plus rance.
Regard bourgeois également sur les jeunes mais attention : bourgeois « moderne ». On ne reproche pas à l’adolescente de fumer des joints mais de n’être pas assez discrète ! Le père parle sans détour de sexualité avec sa fille avec les recommandations d’usage (« nous sommes très prudents » répond la gamine qui connaît par cœur le catéchisme de l’époque). On se demande comment Assayas a pu réaliser autrefois un aussi beau film que l’eau froide lorsqu’on constate la manière dont il filme les jeunes aujourd’hui ! Sans doute qu’il parlait il y a bientôt 15 ans de ce qu’il connaissait (sa propre jeunesse au milieu des années 70) alors qu’il se contente aujourd’hui de sombrer dans le jeunisme le plus démago (avec rap mongoloïde adéquat !) pour complaire aux critiques des Inrockuptibles !
Regard bourgeois enfin sur ces deux frères et cette sœur qui doivent se partager la maison de la mère décédée. Ce ne sont pas véritablement des personnages (malgré l’interprétation sans faille des comédiens) mais des symboles dans lesquels se projette malgré lui Assayas. D’un côté, il se veut gardien d’une certaine tradition française (voir ces interminables passages sur l’expertise des objets qui peuplent la demeure familiale qui va être mise en vente et qui est l’enjeu principal du film, je me rends compte que j’ai oublié de vous le dire !), d’un cinéma « d’auteur populaire » (mais comme avec Les destinées sentimentales, l’échec est patent !). De l’autre, il montre très clairement à travers le personnage de Binoche (installé aux Etats-Unis) et de Rénier, entrepreneur en Chine (les chaussures fabriquées à bas prix par les petits chinois restant le symbole le parlant de la mondialisation !) que la France n’est plus assez vaste pour lui et qu’il est dans le flux même du monde contemporain.
Pour Assayas, même si c’est douloureux et que nous n’aurons plus rien à transmettre ensuite à nos enfants, la France est trop étroite et il ne faut pas hésiter à vendre l’héritage. Ce n’est d’ailleurs pas ce discours que je reproche au cinéaste qui est d’ailleurs trop malin pour être aussi direct et qui prend soin de ménager son public de vieux (les 9/10ème de la salle où j’étais hier !) en montrant les dangers de la muséification et en affirmant qu’un patrimoine vit quand chacun en porte des traces avec lui. Ce qui me gêne, c’est cette absence de point de vue, de regard critique sur ce qu’il montre. Il nous offre d’une certaine manière une vision totalement dégradée du « chacun ses raisons » de Renoir sans oser aller au-delà de la surface lisse de cette bourgeoisie aisée. Je ne demande pas à Assayas d’être Mirbeau ou Chabrol mais à force d’apaiser les conflits, d’arrondir les angles et de réconcilier les « anciens » et les « modernes » (alors que lesdits anciens sont déjà, en quelques sortes, des « modernes » : voir les momies du musée d’Orsay qui sont avant tout des marchands !), il signe un film fade et sans aspérité.
Les quelques effets de style « auteuristes » du film ne doivent pas nous abuser (ou comment « l’auteurisme » a succédé à la « politique des auteurs » : si les critiques appointées faisaient vraiment leur boulot, ils chercheraient à voir ce qu’il y a comme vrai plaisir de cinéma chez Kusturica, même dans un film mineur comme Promets-moi plutôt que de décliner sans fin les mêmes calembredaines à propos d’ « auteurs » adoubés comme tel une fois pour toute !) : l’heure d’été est l’équivalent du cinéma psychologique français des années 50.
Un cinéma totalement académique, lourd et sans vie…