La belle et la peluche
King Kong (2005) de Peter Jackson avec Naomi Watts, Jack Black, Adrien Brody
Ce n’est pas sans une certaine crainte que j’abordai cette nouvelle version de King Kong. D’une part, parce que l’adaptation cinématographique adipeuse et obèse de Tolkien par Jackson m’avait sérieusement échaudé ; d’autre part, parce que l’idée de devoir se taper une superproduction de trois heures ne m’enchante jamais.
Eh bien figurez-vous que je fus dans un premier temps plutôt agréablement surpris. Pendant une heure, Jackson s’inscrit dans la lignée d’un cinéma néoclassique (à la manière du Titanic de Cameron) et c’est plutôt agréable. Le film se déroule aux Etats-Unis aux débuts des années 30 et j’aime assez son côté « rétro » qui parvient à éviter la poussière de l’académisme vieillot. Les personnages sont habilement caractérisés (le metteur en scène mégalomaniaque, la petite actrice pauvre qui cherche à percer, le scénariste tourmenté…), le rythme soutenu (nous restons dans le cadre d’un découpage classique et soutenu) et le cinéaste manie plutôt pas mal l’humour et les clins d’œil sympathiques (le metteur en scène joué par Jack Black cherche une actrice pour l’emmener dans son expédition et pense à Fay Wray, malheureusement déjà occupée à tourner avec Cooper. Le film n’est pas cité mais tout le monde a deviné qu’il s’agit du tournage du « vrai » King Kong).
Pendant une heure, on se laisse prendre par ce rythme de croisière, séduit que nous sommes par le talent et les beaux yeux céruléens de Naomi Watts (qui d’autre pourrait incarner mieux qu’elle ces jeunes filles attirées par la lumière des sunlights ?). On se dit que la réconciliation avec Peter Jackson (dont nous aimons les premiers films) est peut être proche jusqu’au moment où nos héros débarquent sur l’île du roi des singes et où les choses se gâtent irrémédiablement.
Si le début du film fait un peu songer à Cameron, l’interminable partie sur l’île revient à des choses beaucoup moins reluisantes, que ce soit le Jurassic Park de Spielberg ou le Godzilla d’Emmerich. Jackson nous refait le coup de son Seigneur des anneaux et nous assomme sous une masse d’effets numériques mortellement ennuyeux. Les quelques personnages qu’il était parvenu à dessiner s’effacent sous le bombardement massif de la technologie, sous ce « joug chatoyant des formes sidérantes » qu’a si bien décrit Ludovic. Sa mise en scène, qui se contente d’accumuler des morceaux de bravoure sans rythme (dans la mesure où aucune « pause » ne nous est octroyée, qu’il faut se taper de très répétitives attaques de bestioles préhistoriques menées à cent à l’heure), n’offre alors ni place à un spectateur totalement écrasé sous le poids de ce déluge technologique, ni à des personnages qui, visiblement, n’intéressent plus du tout le cinéaste.
Une des scènes les plus ridicules est ce moment où ils sont poursuivis par un troupeau de brontosaures et où nous les voyons courir pendant de longues minutes sous leurs pattes sans se faire écraser. Comprenez-moi bien : ce n’est pas le total irréalisme de la scène qui me gêne. Le cinéma américain, depuis ses débuts, est peuplé de super héros traversant les pires épreuves sans trop d’égratignures. Sauf qu’il y avait, au moins, ce sentiment que le héros et « l’environnement hostile » faisaient partie du même « espace ». L’irréalisme faisait partie d’un pacte de croyance noué avec le spectateur. Dans King Kong, le pacte est rompu et, comme je le disais à propos de La guerre des mondes, nous avons le sentiment très net de voir les deux univers distincts : d’un côté, ce monde virtuel omniprésent où s’agitent les grosses bébêtes répugnantes, de l’autre, celui des personnages ne coexistant pas avec ce monde et pouvant ainsi courir tranquillement sous des monstres de plusieurs tonnes ! A l’image de son cinéaste mégalo, Jackson ne cherche pas la croyance du spectateur mais à le sidérer ; en oubliant que ces effets de « sidération » deviennent vite très ennuyeux et lassants (sur un petit écran de télé, les monstres sont moins impressionnants).
On espère un moment que le cinéaste parvienne à se rattraper dans la dernière partie, new-yorkaise, du film. Or c’est encore une fois la même chose avec ce monstre numérique qui cavale dans la ville sans que nous ayons le sentiment une seconde qu’il détruit vraiment quelque chose. Pire, Jackson loupe totalement ce qui était l’un des grands intérêts de la version de Schoedsack et Copper : la dimension érotique de cette histoire d’amour entre la belle et la bête (ce n’est pas moi qui interprète : King Kong fut très bien placé chez les professionnels lors d’une enquête sur les films les plus érotiques de tous les temps et quand je relançai cette enquête sur le net, le film fut aussi cité plusieurs fois…).
Bien sûr, Jackson filme l’affection de King Kong pour la belle et montre même sa jalousie (les plus beaux plans numériques du film sont les gros plans sur le visage du singe). Mais le cinéaste évacue toute dimension érotique et joue plutôt la carte de l’infantilisme cher à l’époque et celle du « déchaînement du cucul » (Gombrowicz) comme dans cette scène grotesque où le singe et sa proie font des glissades sur un plan d’eau gelé. La bête n’est plus l’image d’une pulsion érotique et animale mais une simple peluche protectrice avec qui la femme va gambader et regarder de jolis paysages. C’est d’une niaiserie sans fond !
Bref, après un début prometteur, Jackson s’embourbe dans les mêmes sables mouvants du « tout technologique » qui rendait insupportable sa trilogie du Seigneur des anneaux. Ce début, auquel on ajoute la présence de Naomi Watts, font de King Kong un film un peu moins ennuyeux mais quand même très raté et surtout, interminable ! (L’originel durait 1h40 et c’était parfait !)