Viol en première page (1972) de Marco Bellocchio avec Gian-Maria Volonté, Laura Betti

 

 

 

Excellente initiative de la chaîne TPS Cinéculte qui nous propose une petite rétrospective de l’œuvre de Bellocchio tout au long de cette semaine. Puisque vous voilà condamnés à en bouffer pendant quelques jours, autant le présenter brièvement une fois pour toute.

Lorsqu’il tourne son premier film Les poings dans les poches au milieu des années 60, Bellocchio s’inscrit dans le courant de ces « nouveaux-cinéma » qui émergent un peu partout dans le monde dans le sillage de la Nouvelle-Vague française. En 1968, le cinéaste se radicalise et devient une figure de proue du cinéma engagé et de la contestation gauchiste.

Les premières images, prises sur le vif d’une manifestation, inscrivent d’emblée Viol en première page dans le contexte politico-social de l’Italie du début des années 70. Entre la droite réactionnaire qu’incarne le quotidien  le journal  et les trublions d’extrême-gauche qui le prennent pour cible (vitres brisées, cocktails Molotov lancés dans les locaux du journal…) ; on perçoit immédiatement que le climat est tendu. A la veille des élections, Bizanti (GM Volonté), patron de presse influent prend pour prétexte un fait divers crapoteux (le viol et l’assassinat d’une jeune femme) pour orchestrer une campagne de dénigrement de ses adversaires gauchistes.

 

 

 

Pour être honnête, même en considérant Bellocchio comme un des cinéastes italiens les plus passionnants de l’après-guerre ; on commence par craindre un peu le bon vieux film à thèse qui fleurissait à l’époque, la bonne fiction de gauche soporifique qu’incarna parfaitement Volonté dans les pensums de Rosi ou Pétri.

L’acteur est d’ailleurs absolument génial ici, tout en regards fourbes et en sourires sournois, manipulant aussi bien son entourage que le canard dont il a la responsabilité. Mais c’est plus fort que moi : Volonté, c’est aussi la star proche du PCI qui ne tourne que dans des films « politiques » plombés par les messages et la bonne conscience. De quoi  me donner envie de fuir.

Bellocchio en tire quelque chose de bien plus intéressant. Dans un premier temps, il décortique avec une rare lucidité (au regard de ce qui se pratique actuellement) la manière dont se fabrique et se manipule l’information. A partir d’un petit entrefilet que Volonté oblige à réécrire à son rédacteur (on n’écrit pas « un chômeur désespéré s’est donné la mort », c’est de la propagande alors que ça a un autre impact si on écrit « suicide d’un immigré ») , le cinéaste dévoile les mécanismes les plus retors qui régissent ce formidable moyen de propagande qu’est la presse. Recherche du sensationnalisme, des moyens de toucher les sentiments les plus bas répondent avant tout à une tactique politique (heureusement que les choses ont évoluées et que nul ne songerait aujourd’hui à promouvoir, à titre d’exemple, l’insécurité à des fins électorales !).

La manière dont Bellocchio analyse ces méthodes de voyous et cette corruption qui gangrènent les grands médias (les italiens en savent quelque chose aujourd’hui !) est percutante. On est cependant amené à se poser à un moment ou un autre la question du manichéisme. Car soyons clairs : dans Viol en première page, c’est les affreux de droite qui manipulent et les pauvres gauchistes qui sont les victimes. Mais ce schématisme primaire est sans arrêt contredit par un film beaucoup plus subtil que son énoncé peut laisser paraître.

Un des premier plan du film nous montre un patchwork de photos de presse mises à plat : où se situe la vérité dans toutes ces images ? Lorsque le rédacteur naïf sera tiraillé par sa conscience et s’insurgera contre son boss en l’accusant de truquer la vérité et de ne pas être objectif ; celui ci lui demandera en retour où se situe vraiment l’objectivité. Bizanti n’est pas dupe : il sait que les méthodes qu’il emploie sont les mêmes du côté de l’ennemi et que lui-même ne fait pas de l’information mais de la politique (il insulte copieusement sa femme qui croit bêtement aux nouvelles qu’annoncent son propre journal). Là est le talent de Bellocchio : déporter le général vers le particulier, ramener cette opposition droite/gauche, où il ne tait jamais de quel côté son cœur balance, aux confins de l’individuel et des affects. Dans cette histoire de viol et de meurtre, il y a bien entendu du fait divers et de la politique mais aussi des sentiments (le personnage incarné par Laura Betti qui dénonce le jeune militant parce qu’il la délaissé), des névroses (celles du tueur), bref, l’épaisseur de ce réel qui refuse de se réduire aux oppositions binaires que lui assignent les hommes.

C’est cette dimension « humaine » (pardon pour la platitude, nous reparlerons certainement de la dimension d’enfermement du cinéma de Bellocchio et des rapports qu’il a su tisser entre la politique et la psychanalyse plus tard) qui fait l’intérêt de ce Viol en première page.

 

 

 

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