Le sourire de ma mère (2002) de Marco Bellocchio avec Sergio Castellitto

 

 

 

Les historiens prétendent que l’exécution en place publique de Louis XVI était une étape nécessaire de la Révolution, le moment primordial où le peuple parvient enfin à liquider symboliquement la figure du Père. Quel rapport avec Bellocchio ? et bien lui aussi fit partie de ces enfants révolutionnaires des années 60 qui voulurent en finir avec des « parents » trop encombrants. Cinéma contestataire s’échinant à mettre à nu les mécanismes de l’aliénation, de l’enfermement de l’individu par la famille (les poings dans les poches), les institutions (militaires - la marche triomphale- ou religieuses –Au nom du père-), la presse (Viol en première page)… Or les deux derniers films de Bellocchio tendent à montrer un retour du refoulé et l’impossibilité qu’a eu une génération à « tuer » ses parents.

 

 

 

Du « côté Père », c’est l’incapacité d’ avoir pu se débarrasser du Pouvoir qui se lit dans le très beau Buongiorno, notte. Dans ce film relatant la séquestration et la mise à mort du leader démocrate-chrétien Aldo Moro par les Brigades Rouges, il ne s’agit pas pour le cinéaste de prendre parti pour ou contre les terroristes (cela n’a strictement aucun intérêt) mais d’analyser comment les enfants tentent de liquider l’ombre tutélaire du Père tout en ne sachant que faire de son cadavre, de cette image à dépasser.

 

 

 

Dans le sourire de ma mère, il est également question d’un deuil impossible : celui de la Mère honnie qui revient sous les traits de l’Eglise et de la Religion (on sait la place qu’occupe « la Madre » dans la culture méditerranéenne).

Alors qu’il est totalement athée, le peintre Ernesto (Sergio Castellitto, d’une rare intensité) est stupéfait d’apprendre que sa mère défunte pourrait être béatifiée. Assassinée par un autre de ses fils, cette future sainte aurait subi son sort en invoquant Dieu et en pardonnant à la main meurtrière la frappant. Preuve supplémentaire : un vieil ami de la famille aurait été guéri en invoquant le nom de cette pauvre vieille martyrisée !

 

 Le sourire de ma mère ne se veut pas un film anti-religieux. Comme le patron de presse de Viol en première page, ce n’est pas les convictions des gens du Vatican qui importent, ni celle de la famille d’Ernesto qui a ourdi ce complot (alors que sa tante Rita lui avoue clairement qu’elle ne croit pas en Dieu !) mais la manière dont la manipulation a lieu et à quelles fins (politiques, bien évidemment). Après la tentative de table rase de la fin des années 60, on voit la bourgeoisie tenter aujourd’hui de se « refaire » un nom, d’instrumentaliser la religion pour se redonner un « titre » (encore la tante qui explique que cette béatification redonnera une protection au nom de la famille et qu’elle en a besoin, quel que soit ce titre d’ailleurs : l’Opus Dei, la franc-maçonnerie, une congrégation de chasseurs…)

Le talent de Bellocchio, c’est de montrer les implications de ce retour du « refoulé » au niveau individuel. Peu à peu, Ernesto prend mesure du complot qui s’est tramé dans son dos et prend conscience de son incapacité à se débarrasser de cette image de la Mère (de son sourire se retrouvant sur son propre visage). Il y a quelque chose de Kafka dans cette manière qu’a le cinéaste d’enfermer son personnage par de soyeux mouvements circulaires de caméra.

Comme d’ailleurs Buongiorno, notte ; le sourire de ma mère est un film dont l’élégance formelle finit par oppresser en donnant à ces deux œuvres le caractère de cauchemars feutrés. L’image d’une toile d’araignée se refermant peu à peu sur un individu coincé dans ses névroses (il faudrait des pages et des pages pour analyser la complexité des liens familiaux d’Ernesto).

 

 

 

Ce qui a changé pour Bellocchio, c’est que de fils rebelle, il est devenu père et s’interroge désormais sur une possible filiation. Que peuvent transmettre aux nouvelles générations les enfants de la « Révolution » pour qui les figures parentales étaient vouées aux gémonies ? Ernesto est l’image de ces contradictions : il avoue à son fils son athéisme mais le laisse libre de suivre des cours d’instructions religieuses. Mais s’agit-il d’une vraie « liberté ». C’est sur les interrogations du bambin que s’ouvre le film. C’est lui qui demande à sa mère où est sa liberté si Dieu est partout et voit tout ce qu’il fait . Même en ne subissant pas une figure paternelle écrasante, l’enfant prend déjà conscience de l’enfermement qu’il devra subir en tant qu’individu (enfermement social, familial, historique, religieux…)

Pas d’issue pour Bellocchio (le film se termine par une abrupte queue de poisson) , juste le constat lucide d’une pression qui pèse de plus en plus sur l’individu.

 

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