Deux nigauds contre docteur Jekyll et M. Hyde (1953) de Charles Lamont avec Bud Abbott, Lou Costello, Boris Karloff

 

 

Poursuivons, voulez-vous, notre exploration de ce noble genre qu’est la comédie et de ses diverses formes. Et plutôt que de nous lamenter une fois de plus sur la médiocrité de nos contemporains, jouons aux archéologues et exhumons un goûteux nanar des années 50 ; histoire de prouver que nous ne sommes pas un aussi mauvais bougre que ça et qu’il nous arrive d’être sensible à l’humour même le moins finaud.

Aujourd’hui passés aux oubliettes de la cinéphilie, on a du mal à réaliser l’immense popularité que connurent Abbott et Costello dans les années 40-50. Prenant la suite du tandem Laurel et Hardy (même type de couple formé d’un petit gros froussard –Costello- et d’un grand dadais filiforme- Abbott-) , nos « deux nigauds » ne bénéficient pas de la même renommée. Pour l’historien du cinéma stalinien Georges Sadoul « Laurel et Hardy ne tombèrent pas dans la basse stupidité de leurs successeurs : Abbott et Costello ». Quand à Alain Paucard, il écrit dans le (médiocre) Guide des films dirigé par Tulard : « L’œuvre de Bud Abbott (1896-1964) et Lou Costello (1908-1959) est un des sommets de la ringardise, chaîne montagneuse pourtant très élevée ».

Diable ! heureusement que les plus déjantés des historiens du cinéma se sont également penchés sur le cas de nos deux zozos, que ce soit Noël Godin dans un excellentissime petit article intitulé Toast au cinéma comique navrant (où il réhabilite également Doublepatte et Patachon, les trois Stooges et Franco et Ciccio) ou l’indispensable Jean-Pierre Bouyxou qui dans La revue du cinéma nous offrit un monumental dossier sur les « teams comiques ringards »   (pendant cinq numéros où il fit, outre les quatre équipes citées, l’éloge des Bowery boys, de Bing Crosby et Bob Hope, des Ritz brothers, de Tichadel et Rousseau, de Pills et Tabet…) Bref, de quoi nous mettre en appétit et nous donner envie de découvrir ces rigolos.

Leurs films étant difficilement visibles aujourd’hui, je dois reconnaître que je n’en avais vu que deux jusqu’à présent : Abbott et Costello en Afrique et le féerique Abbott et Costello go to Mars  où nos deux nigauds sont accueillis par des vénusiennes en tenues sexy au grand bonheur de Costello, obsédé sexuel notoire ! Dire que je suis fan de ces films est un brin exagéré. Plutôt reconnaître l’exemple même du nanar un poil ringard à qui la patine du temps a donné un indéniable charme. Et avouer aussi qu’au milieu d’un tas d’âneries laborieuses, ces films étaient traversés par de purs moments de génie burlesque.

 

 

Abbott and Costello meet Dr Jekyll and Mr Hyde s’avère le plus abouti des trois films que j’ai vu de notre tandem. Comme le remarque fort justement Noël Godin, l’intérêt majeur des films d’Abbott et Costello réside dans cette « prodigieuse manie qu’avaient les deux fantaisistes de vouloir convoquer à tout prix dans chacune de leurs prestations toutes les formes imaginables de burlesque à la fois. ». Il y a donc de tout dans ce film : des gags idiots où Costello se prend bêtement les pieds dans un tapis où une porte dans le nez, mais également des grands moments de burlesque échevelé comme dans cette scène d’ouverture où des suffragettes exaspérées par les remarques phallocratiques de leurs maris provoquent une rixe dantesque puis libèrent leurs instincts gendarmicides en mettant en déroute la maréchaussée comme dans la chanson de Brassens (Hécatombe). De la même manière, si l’on rira difficilement aux insanes cris et grimaces des zozos , il sera difficile de résister au moment où Costello se retrouve enfermé dans une espèce de musée des horreurs où trônent les effigies de Dracula et de la créature de Frankenstein !

 

 

L’ensemble est assez inégal, un peu à l’image du tandem que forme les deux acteurs. Autant je trouve Abbott assez fadasse et plutôt insipide, autant Costello s’avère être un merveilleux comique. Couard comme il n’est pas permis, partisan incessant de la fuite ; c’est toujours lui qui se retrouve dans les situations les plus catastrophiques et/ou absurdes. Ici, il fait les frais des transformations que pratiquent le Docteur Jekyll (le voilà transformé en souris blanche géante !) ou se retrouve confronté à des animaux mutants (un féroce lapin tente de le mordre).

 

 

Si au bout du compte Abbott and Costello meet Dr Jekyll and Mr Hyde se révèle un film estimable, c’est que Charles Lamont a le bon de goût de compenser les essoufflements passagers du burlesque par un soin accordé à l’atmosphère fantastique du film. Pour les critiques, notre calamiteux tandem retrouve un second souffle lorsqu’ils s’attaquent aux grands mythes fantastiques de la Universal à la fin des années 40 (à part le Dr Jekyll, nos nigauds rencontreront Frankenstein, l’homme invisible et la momie). Et c’est vrai que la présence de Boris Karloff, de son assistant effrayant, de l’atmosphère brumeuse et nocturne de Londres donnent un cachet certain à ce film dont le comique est parfois, il est vrai, un peu anémique.

 

 

En attendant que les chaînes câblées aient le bon goût de nous ressortir les films des Stooges , l’amateur de curiosités ne loupera pas cette petite pépite de nos deux nigauds préférés… 

 

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