L'homme sans visage
Nuits rouges (1974) de Georges Franju avec Jacques Champreux
Après une fin de semaine agitée qui m’a tenu éloigné un certain temps de mon ordinateur (je suis allé voir les concerts du meilleur groupe de rock français du monde –Dionysos- et du meilleur groupe bourguignon du monde –les Trapettistes-), me voilà de retour pour les affaires cinéphiliques courantes.
Revenons au grand Georges Franju et à ses Nuits rouges qui fut –hélas !- son dernier film. Une fois de plus, le cinéaste rend un hommage évident à son maître Louis Feuillade et nous replonge avec délice dans l’univers rocambolesque des serials d’antan.
Rien ne manque à l’appel : un génie du crime masqué comme Fantômas, une organisation secrète mystérieuse, le trésor des templiers, un savant fou capable de transformer des humains en « robots » tueurs, des cryptes, des passages secrets multiples derrière des bibliothèques coulissantes, des rebondissements invraisemblables et incessants, un détective privé un brin ringard (Patrick Préjean oblige !) et même un belle et inévitable course sur les toits de Paris à la poursuite d’une séduisante dame vêtue comme Musidora.
Comme dans Judex (je ne l’avais pas précisé la dernière fois), Franju a également recours à des petits « trucs » cinématographiques qui évoquent les grandes heures du cinéma feuilletonesques : scènes introduites par des cartons, ouvertures et fermetures à l’iris…
Le résultat est fort plaisant même si Nuits rouges ne possède ni la beauté, ni la poésie des grands films du cinéaste, en particulier Les yeux sans visage et Judex.
Est-ce parce qu’il l’a tourné en couleurs que Franju parvient difficilement à masquer le caractère relativement vétuste des décors ? C’est possible et de ce point de vue, le film a pris quelques rides et frôle de temps en temps un certain kitsch (les vêtements très années 70 des comédiens n’arrange pas les choses !).
De la même manière, l’interprétation est plutôt approximative et très « raide ». Par moment, le spectateur se croit presque devant un film de Jean Rollin ! (ça n’a rien de péjoratif dans mon esprit mais ça donne aussi une indication sur les moyens du bord !)
Reste le pur plaisir d’une intrigue qui nous emporte d’autant plus qu’elle nous renvoie à cette littérature populaire de la Belle époque pour laquelle nous confessons un coupable penchant (Souvestre et Allain, Leroux…).
Visuellement, Franju n’a pas perdu la main et certaines séquences sont vraiment très belles : je pense à toutes ces mystérieuses réunions des templiers dans d’obscures cryptes, à ce passage dans un train de nuit où notre homme masqué de rouge dérobe des sceaux à un policier. Mais le plus beau moment est certainement cette course-poursuite sur les toits de Paris que j’évoquais plus haut. Dans ces moments, le cinéaste parvient à transcender la réalité pour la nimber de mystère, d’une étrangeté pourtant familière (un peu à la manière du Breton de Nadja).
Même si Nuits rouges est sans doute un film mineur ; ce regard un brin décalé sur la réalité, capable d’en saisir tous les recoins obscurs et insolites reste suffisamment rare pour que nous n’hésitions pas une seconde à vous le conseiller malgré tout…