Minority report (2002) de Steven Spielberg avec Tom Cruise, Colin Farrell, Samantha Morton, Max Von Sydow

 

 

 

Il fallait bien que ça arrive un jour… Depuis plus d’un an et demi que je tiens ce journal d’impressions cinématographiques, il était dit que je devrais me confronter au cas Spielberg. Or voilà un sujet à aborder avec des pincettes eu égard au nombre de groupies que rallie le seul nom du cinéaste. Lesdits fans pouvant d’ailleurs se montrer fort violent lorsqu’on touche au moindre cheveu de leur idole qui a , de plus, rallié maintenant à lui toute la critique intello depuis quelques films (voir l’hommage rendu au grand cinéaste « qu’il a toujours été » par un ancien critique des Cahiers du Cinéma. Ici).

Ne tergiversons pas : Spielberg est pour moi le cinéaste le plus honteusement surestimé du moment et son œuvre ne présente que très peu d’intérêt (et vlan !). Comme tous les détracteurs du « Wonder Boy » hollywoodien (ça devient une espèce menacée aujourd’hui où il est pourtant de bon ton de taper sur des cinéastes infiniment supérieurs : Woody Allen, Martin Scorsese, Brian de Palma entre autres), j’estime que son seul grand film est Duel, premier galop d’essai parfait, réalisé pour la télé et évitant tous les défauts dans lesquels va se vautrer Spielberg par la suite. Il y eut bien quelques films agréables au début de sa carrière, où il se contentait de nous offrir du « revival » des grands genres d’antan (l’épouvante avec les dents de la mer, l’aventure avec la saga des Indiana Jones) mais déjà pointait, dans les affreux Rencontre du 3ème type et E.T (pardon Féerisette, ce n’est pas une provocation !) son puritanisme moralisateur, sa niaiserie sentimentalo-gluante, son familialisme  primaire…

Par la suite, ça ne fera qu’empirer : le cinéaste naviguant désormais entre grosses productions boursouflées, ennuyeuses à mourir (Jurassic Park), les bluettes fantastiques de plus en plus niaises (un pic ayant été atteint avec l’atroce Hook) et des films où Spielberg se pique de porter un regard sur l’Histoire (ce qui donnera les catastrophiques La liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan ; je n’ai pas vu ceux consacrés à l’esclavage ou aux JO de Munich !).

 

 

 

Pour être honnête, je n’ai pas vu les derniers films de l’auteur et jusqu’à hier soir, le soldat Ryan était son film le plus « récent » que je connaissais. Mais je tenais néanmoins à m’élever contre ce cliché, que j’ai réentendu à propos de Munich au Masque et la plume, à savoir qu’il est entendu que Spielberg « est un grand  cinéaste » même lorsqu’on fait des réserves sur ses films. Or j’admets volontiers qu’on puisse aimer ses films (Hou la ! je ne veux pas me battre contre la planète entière !) mais j’affirme que ce n’est pas un grand metteur en scène. Juste un exemple : il a été fait grand cas, à l’époque, de la scène d’ouverture d’Il faut sauver le soldat Ryan. Eh bien je suis désolé, mais elle est affreusement nulle ! Ce n’est qu’esbroufe et virtuosité tapageuse ne donnant jamais le sentiment d’un champ de bataille : juste une imagerie de jeu vidéo où des pions sans chair n’arrêtent pas de se tirer dessus. Toujours à la pointe des nouvelles technologies (on ne peut pas le nier), ses mises en scènes me paraissent toujours lourdingues, pataudes et rarement inspirées. Aussi sincère soit-il, Spielberg est un cinéaste épais, incapable d’offrir la moindre ambiguïté, le moindre trouble.

 

 

 

Minority report n’infirme pas ce jugement sévère qui est le mien même si je trouve qu’effectivement, c’est un film plus honorable que les précédents cités. Sa principale qualité, c’est un scénario très habile et astucieux qui permet de regarder le film sans déplaisir. Adapté d’une nouvelle de Philip K.Dick (que je n’ai pas lu), le film nous plonge dans un futur proche, dans une cité où le crime a été éradiqué grâce à trois individus (les « précogs ») disposant de pouvoirs paranormaux permettant de prévoir les crimes. Ne reste plus alors qu’à l’organisation policière « pré-crime », emmenée de main de maître par le flic John Anderton (Tom Cruise), d’intervenir juste avant les forfaits et de cueillir les criminels au moment où ils passent à l’acte. Tout irait pour le mieux si, un jour, John ne se voyait pas lui-même en train de commettre un crime contre un individu qu’il ne connaît pas…

 

 

 

Jeux avec le temps permettant d’aborder la question du déterminisme et du libre-arbitre (peut-on modifier l’avenir si on le connaît ?), Minority report bénéficie d’une bonne trame narrative et d’une construction habile. Cela suffit-il à faire un bon film ? pour moi, non. Et là où le bat blesse, c’est une fois de plus au niveau de la mise en scène.

On a loué la manière dont Spielberg a restitué l’univers futuriste de la nouvelle de Dick. Alors je ne sais pas si ça vient de mon peu de goût pour la SF de ce type mais j’ai trouvé ça plutôt laid. Ces couleurs délavées et froides, cette manière de jouer avec la solarisation de certaines séquences m’a paru plus relever d’une esthétique publicitaire que de vrais choix plastiques (point culminant : cette séquence ridicule où Cruise, après une longue poursuite dans un atelier de construction de voitures, sort indemne au volant d’un bolide flambant neuf ! on attend plus que le slogan qui va vanter la marque de ladite voiture !).

Les scènes d’action ne m’ont pas semblé plus convaincantes et elles ralentissent paradoxalement le récit, davantage captivant lorsqu’il se contente d’instaurer un suspense et de dévoiler peu à peu ses clés.

 

 

 

Avec Minority report, Spielberg semble vouloir offrir au monde son Orange mécanique (un grand manitou s’appelle Burgess et la scène où Cruise se fait enlever les yeux est un hommage direct au film de Kubrick) . C’est là à mon avis que se situe l’échec du film et la preuve que Spielberg n’a pas les épaules pour assumer un véritable cinéma de réflexion.

Il se montre d’incapable d’articuler le va-et-vient entre le collectif et l’individuel. Son optimisme béat, son moralisme gnangnan lui interdisent de remettre en cause le Pouvoir, la Loi alors qu’il y avait quelque chose de très effrayant et de vertigineux à dire sur cette police préventive et le contrôle des individus (souvenons-nous de la manière dont Kubrick montrait que la violence d’Etat relevait des mêmes ressorts que la violence individuelle et qu’elle était aussi effrayante, sinon plus !). Pour Spielberg, il faut juste lutter contre les disfonctionnements d’un système. Les personnifier dans un individu (le Méchant) et les éliminer.

Si ce passage du collectif (le système) à l’individuel me semble raté, l’inverse l’est autant. Lorsque Spielberg instrumentalise un cas individuel à des fins larmoyantes (le fameux petit manteau rouge dans La liste de Schindler qui masque la souffrance de tout les autres prisonniers reste pour moi une des scènes les plus abjectes de toute l’histoire du cinéma) ou pour justifier un Etat policier (la « pré-crime » comme moyen d’éviter ce qui est arrivé à John, à savoir l’enlèvement et la mort de son petit garçon.) , il est toujours aussi lourd et peu convaincant. On ne sort jamais des bons sentiments et tout ce que le récit pouvait avoir de vertigineux (l’éradication du crime vaut-elle la suppression de toute liberté individuelle ?) est affadi et gommé au profit de cet éternel roman familial spielbergien .

 

 

 

De la même manière, tout l’intérêt qu’aurait pu avoir la réflexion entre déterminisme et libre-arbitre est réduit à la traditionnelle petite fable christique qui ne pisse pas bien loin. Notre trio d’oracle représente bien évidemment la Trinité, cet œil divin dont tout découle. Sauf que dans le christianisme, le déterminisme est inconcevable (comment Dieu pourrait-il vouloir le Mal ?) et dans sa grande mansuétude, le Père tout-puissant laisse à l’homme l’exercice du libre-arbitre (c’est un de ces sophismes religieux avec lesquels je n’ai jamais pu m’accommoder !). Cela donne une assez belle scène d’ailleurs où le nabot Cruise (je n’aime pas cet acteur qui n’a, selon moi, aucun charisme) rompt avec le déterminisme et la loi du Talion (il ne tuera pas le prétendu assassin de son fils) et s’en remet à la Loi (de ce point de vue, Spielberg est beaucoup plus sympathique que l’atroce Schumacher et ses appels fachos à la vengeance individuelle). Mais là encore, ça ne va pas très loin et on ne sort pas de l’alternative Dieu, Famille, Patrie.

 

 

 

Bref, Spielberg n’est décidément pas Kubrick et même si Minority report est un peu plus intéressant que le tout-venant de la SF branchouille (les horreurs du style Matrix, X-Men et Cie), j’avoue ne pas avoir été emballé…

Retour à l'accueil