Un conte de noël (2008) d’Arnaud Desplechin avec Catherine Deneuve, Mathieu Amalric, Chiara Mastroianni, Melvil Poupaud, Anne Consigny, Jean-Paul Roussillon, Emmanuelle Devos, Hippolyte Girardot

 

Drôle de zigue que ce Desplechin ! A priori, son cinéma a tout pour me faire fuir : descriptions de microcosmes minuscules et favorisés, récits à haute teneur psychologique, goût pour l’introspection et les conflits névrotiques, acteurs branchouilles (Devos, Amalric…)… A chaque fois, je vais voir ses films à reculons (d’autant plus que l’accueil critique toujours unanime me les rend suspects) et à chaque fois (ou presque : je ne suis pas fan d’Esther Kahn) je me laisse prendre. Il suffit d’ailleurs de comparer ce Conte de noël au dernier navet d’Assayas (l’heure d’été) pour mesurer à quel point Desplechin parvient à s’extirper sans peine du sillon dans lequel il semble évoluer. Chez Assayas, tout semble étriqué, fabriqué et lourdement explicatif alors qu’il y a chez Desplechin une ampleur romanesque qui éclate dès les premiers plans.

Lesdits premiers plans éclairent d’emblée le nœud gordien des névroses familiales qui régissent le film : la mort d’un enfant raconté par le biais d’un petit théâtre d’ombres, la douleur des parents Junon et Abel (Deneuve et Roussillon) et les difficultés pour les deux frères (Henri et Ivan) et la sœur (Elisabeth) de grandir dans l’ombre de ce fantôme…

Très vite, la mise en scène de Desplechin nous plonge au cœur du drame et le spectateur sent, comme lors du voyage en train du Prince Mychkine dans l’idiot de Dostoïevski, que s’ouvre à lui un vaste champ romanesque. De fait, un conte de noël est porté par cette ampleur romanesque, par ce souffle jamais court qui permet au cinéaste de nous faire partager l’intimité de ces individus pendant près de 2h 30 sans jamais nous ennuyer.

Je le répète, ces conflits familiaux pourraient être très étriqués et ne jamais dépasser le cadre du petit règlement de compte mesquin entre bourgeois. Or le cinéaste parvient à inscrire son film dans les territoires du mythe : avec son fils banni du clan (la famille chez Desplechin a véritablement un caractère clanique) et ce nœud complexe de conflits irrésolubles, cette famille devient une sorte d’hydre monstrueuse dont les têtes ne cessent de repousser à mesure qu’on les coupe : le fils banni ressurgit pour la grande réunion de noël, les revenants refont surface, les vieux sentiments dissimulés se mettent à sourdre de nouveau…

Je le disais déjà (me semble-t-il) à propos de Rois et reine : les films de Desplechin sont des pâtes feuilletées où se superposent une multitude d’affects, de phobies, de névroses. Pour lier le tout, le cinéaste s’amuse à jouer sur divers registres : le dramatique, le comique (toutes les scènes ayant trait à la mort sont traitées avec une vraie légèreté et nous valent quelques dialogues assez piquants entre Roussillon et l’impératrice Deneuve) en louchant parfois vers un fantastique maladif et romantique : les fantômes ne s’incarnent pas physiquement mais semblent toujours présents (Desplechin va même jusqu’à faire un assez joli clin d’œil au Vertigo d’Hitchcock lors d’une scène de musée).

Mille-feuilles, disais-je ; mais l’on pourrait aussi bien comparer ce film à ces plantes proliférantes. Chaque individu devient le point de départ possible d’une multitude de fictions envisageables ou avortées (je pense aux liens qui unissent Sylvia –Chiara Mastroianni, de plus en plus belle et toujours meilleure d’un film à l’autre- et Simon, le cousin de son mari). Desplechin traite ses personnages à égalité et leur offre généreusement cet écrin fictionnel sans jamais donner l’impression que tout est écrit dans le marbre une fois pour toute. Le cinéaste a retenu la leçon de Rivette : un film n’est ni plus, ni moins que le récit de son tournage et il s’agit de privilégier une forme ample et ouverte, à l’image du personnage qu’incarne Emmanuelle Devos qui surgit dans le film sans crier gare et s’en va aussi assez abruptement.

Quand au thème du film, c’est celui qui parcourt tout le cinéma de Desplechin : à savoir comment les fils (et filles) se débrouillent pour devenir père, quitte à devenir même les « pères » de leurs parents. Le cinéaste joue ici sur la métaphore de la maladie et de la greffe. Junon est atteinte d’un cancer particulier nécessitant une greffe de moelle pour espérer une guérison. Les seuls compatibles avec elle sont Henri (Amalric), le fils banni, et son petit-fils Paul, fils d’Elisabeth (sublime Anne Consigny qu’on retrouve avec grand plaisir sur grand écran même s’il a fallu pour ça subir récemment le dernier Bonitzer !). Elisabeth qui a justement rompu violemment avec Henri, en se plaçant sous le coude de la Loi.

Tout le film ne fera que filer la métaphore de cette « greffe », de ces « rejets » et de cet espoir de compatibilité entre une mère et un fils, entre les membres de la fratrie…

La mise en scène virtuose de Desplechin épouse les volutes, les courbes, les lignes droites et brisées de ce paquet d’affects et de passions qui unit et déchire la famille. Elle plonge au cœur d’une pâte humaine que le cinéaste parvient à rendre épaisse, profonde et complexe.

C’est d’ailleurs ce qui rend le film si touchant.

Pourtant, je tiens à apporter un tout petit bémol au concert de louanges que ne manquera pas de susciter ce film. Desplechin a un talent fou et un sens du romanesque indéniable et je suis prêt à affirmer que c’est un cinéaste précieux.

Néanmoins, à trop vouloir désamorcer l’émotion par un certain sens du comique bouffon, à trop refuser les explications des actes de ses personnages et les résolutions des problèmes ; il me semble qu’il ne parvient pas à atteindre la dimension tragique que semble pourtant appeler son cinéma.

Ces réserves sont sans doute très subjectives et tiennent sans doute au fait que j’aime de plus en plus, au cinéma, les cinéastes qui savent dépasser la « subtilité » pour atteindre l’essence du tragique, quitte à paraître « lourds ». On en revient alors aux fondamentaux : Stroheim, Sirk, Fassbinder…

Desplechin est parfois presque trop « malin », préférant ne pas se mouiller à exacerber totalement les conflits ou à recourir au mélodrame.

A côté de cela, Un conte de noël possède un souffle romanesque et une ampleur qui en font le meilleur film français depuis La graine et le mulet.

Il mérite assurément le détour…

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