Et la vie continue...
Wonderful town (2007) d’Aditya Assarat
Bien sûr, ce n’est pas en commentant ce genre de film que je vais rameuter le chaland et j’entends déjà les rires sarcastiques venir du côté de chez Pierrot (le vrai !) ; mais puisque l’actualité cinématographique est d’une pauvreté affligeante en ce moment (mis à part le Desplechin), je vous propose un petit détour du côté de la Thaïlande.
Les cinéphiles les plus exigeants n’ignorent désormais plus le nom de Apichatpong Weerasethakul (auteur des magnifiques Blissfully yours et Tropical malady) et si je prends la peine de citer son nom (ce qui est, en soi, une gageure !), c’est que c’est sur ses pas que marche plutôt habilement Aditya Assarat.
Un jeune architecte est envoyé de Bangkok vers le sud de la Thaïlande avec pour mission de superviser un chantier de reconstruction d’immeubles destinés à relancer le tourisme dans une région dévastée par le tsunami de l’hiver 2004. Homme secret, Ton s’installe dans un hôtel modeste et fait la connaissance de Na, sa jeune logeuse. De cette rencontre va naître une inévitable histoire d’amour…
Pour peu qu’il ne renâcle pas devant un certain cinéma contemplatif, le spectateur se laisse cueillir sans problème par la mise en scène élégante d’Assarat. Ce cinéma taiseux et très composé n’apparaît désormais plus comme quelque chose de totalement inédit mais il séduit malgré tout. Nous sommes dans cette tradition asiatique du « cinéma de l’après désastre » qui évoque aussi bien le Kiarostami revenant sur les lieux d’un tremblement de terre dans Et la vie continue que le Jia Zhang-Ke de Still life.
Assarat revient sur les lieux dévastés par le tsunami, filme quelques habitations en ruine et abandonnées (« elles sont hantées » prévient un ouvrier du chantier) et une mer d’huile qui n’a pourtant pas l’air menaçant.
Et puisque nous sommes au rayon des réminiscences d’un certain cinéma asiatique, soulignons que la caméra du cinéaste retrouve parfois la belle sensualité du cinéma de Weerasethakul (lorsqu’il s’agit de filmer une très belle lumière solaire inondant les amants couchés dans l’herbe) et que son histoire d’amour d’abord différée dans un premier temps rappelle aussi certains moments de Wong Kar-Wai (j’ai pensé à Chungking express lorsque Na pénètre dans l’intimité de la chambre à coucher de Ton lorsqu’il est absent).
Je le redis, toutes ces références qui viennent à l’esprit constituent sans doute la principale limite d’un film qui représente, d’une certaine manière, la quintessence de cette « qualité asiatique » dont se repaissent les habitués des festivals.
Néanmoins, Assarat a suffisamment de talent pour ne pas se laisser cloîtrer dans le « déjà-vu » et pour offrir un point de vue original à son film.
Dans un premier temps, il nous touche par la délicatesse de son trait et la suavité d’une histoire d’amour en germe, qui n’ose se déclarer. Par la manière d’aérer sa mise en scène grâce à de très beaux plans d’ensemble ou de se rapprocher, au contraire, au plus près de la peau des personnages, Assarat réalise un film secret et plein de subtilité.
Cela pourrait être un peu languissant si le cinéaste ne dévoilait pas une autre facette de son talent : cette capacité de suggérer la peur et l’angoisse. Il y a une scène très forte où le couple en voiture se fait suivre et encercler par quatre jeunes motards dont on ignore les intentions. Je ne raconterai bien sûr pas le dénouement mais, à plusieurs reprises, Assarat parvient à faire planer au-dessus de son œuvre un sentiment diffus d’angoisse.
Il suffit aussi qu’il filme en gros plans quelques (petites) vagues de l’océan et l’on sent revenir la menace du raz-de-marée meurtrier, d’un passé dont les plaies n’ont pas encore été pansées.
Ce n’est sans doute pas grand-chose mais il y a dans Wonderful town des zones d’ombre et des plans énigmatiques (à l’image du sublime plan final) qui rompent avec l’agencement sans accroc de la mise en scène.
Ce n’est sans doute pas le chef-d’œuvre de l’année mais une vraie curiosité et un joli film qui laisse présager, comme le veut la formule, d’un véritable avenir de cinéaste pour Assarat…