Le bourreau (1963) de Luis Garcia Berlanga avec Nino Manfredi

 

Je vous avais prévenu que je revenais en force cette semaine avec une note quotidienne. Mais je n’avais pas précisé si les films évoqués seraient célèbres ou pas. Aussi vous m’excuserez une fois de plus de faire fuir la foule en présentant ce soir ce Bourreau qui ne fera sans doute point se pâmer d’aise mes milliards d’admiratrices même si je ne doute pas un instant que mes fidèles amis cinéphiles (sont visés ici les plus talentueux des internautes que vous retrouverez aisément en consultant ma liste de favoris) n’ignorent pas le nom de Berlanga.

Pour ma part, c’est le premier long-métrage que je vois de ce monsieur (je connaissais par ailleurs son sketch- pas franchement mémorable- pour le film collectif les quatre vérités) et disons le tout de go : le résultat est fort estimable et vaut assurément le détour même si l’on me pardonnera de ne pas sauter au plafond.

Le plus remarquable dans ce film espagnol tourné sous le régime franquiste (pas le plus disposé à encourager les vocations artistiques !), c’est son côté…italien. Le fait que Nino Manfredi incarne (fort bien !) le personnage principal de film n’est pas, loin s’en faut, le seul élément qui entre en compte dans l’opinion que je viens de formuler. C’est aussi dans un ton sarcastique, une capacité à glisser quelques jolies notes d’humour noir que réside l’ « italianité » de l’œuvre de Berlanga.

Jugez plutôt :   José Luis (Manfredi) est un fossoyeur qui souffre d’un manque affectif lié sans doute à sa profession moyennement aphrodisiaque. Il rencontre un jour Carmen, fille de bourreau qui souffre du même handicap et finit par l’épouser quand cette dernière se retrouve malencontreusement enceinte. Et là, tout s’enchaîne : la charge de bourreau étant héréditaire, José Luis se voit charger des Basses Oeuvres lorsque son beau-père part à la retraite alors qu’il est incapable de tuer une mouche…

L’humour du film naît de ce contraste entre la douceur un peu veule de José Luis, le métier auquel il doit se préparer (qui n’est somme toute pas banal) et le naturel avec lequel on aborde la mort dans la famille. Le beau-père ne cesse de prodiguer des conseils à son successeur en faisant mine de croire qu’il est aussi aisé de tuer un homme que de vendre des chaussures ou d’effectuer des bilans comptables !

D’une certaine manière, ce Bourreau de Berlanga n’est pas très éloigné, dans le ton, des films à l’humour très noir que tournait Ferreri dans les années 60. Le fait que José Luis soit pris dans un engrenage inéluctable évoque les fables kafkaïennes du grand metteur en scène transalpin comme le lit conjugal ou l’audience dont nous vous reparlerons très prochainement. Ce n’est pas un hasard si je cite ces titres puisqu’on retrouve au scénario Rafael Azcona qui signe également celui du Bourreau. On sent la patte !

Après, il est de bon ton pour un critique sérieux (rassurez-vous, je ne le serai sans doute jamais !) de repérer dans un film tourné en plein régime franquiste ce qui, de manière sous-jacente, peut être lu comme une critique de ce totalitarisme. Certes, le film est résolument anti-peine de mort (ce qui est fort louable) et Berlanga profite de quelques scènes pour se gausser de la lourdeur de l’administration (les scènes où la famille se bat pour obtenir un logement en immeuble à peine construit sont assez impayables) et du caractère résolument oppressif de ladite administration. On peut y voir aussi quelques piques contre la chape de plomb pesant sur les mœurs, notamment lorsque Carmen risque de se faire déshériter et de devenir la risée de tout le voisinage pour avoir convolé hors des liens sacrés du mariage.

On ne devait pas rigoler tous les jours sous le caudillo !

Berlanga a le talent de rire malgré tout. Qu’il se moque du pouvoir en place, permettez-moi d’en douter un peu mais qu’il ose rire des choses les plus graves (la mort), c’est déjà beaucoup et ça nous vaut une comédie pas franchement hilarante mais plutôt bien relevée. Comme la mise en scène est plutôt bien fichue et parfois même très belle (cette immense pièce vide et cette porte qui renferme l’endroit où José Luis devra œuvrer donne un très beau plan), c’est le genre de « classique méconnu » qu’on aime à découvrir…

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