L’audience (1972) de Marco Ferreri avec Claudia Cardinale, Ugo Tognazzi, Michel Piccoli, Vittorio Gassman, Alain Cuny

 

Pour une raison qui restera inconnue au spectateur jusqu’à la fin du film, Amedeo souhaite bénéficier de toute urgence d’une audience papale. Par tous les moyens, il tente d’approcher Paul VI mais il est refoulé par une administration pointilleuse et divers prélats qui le renvoient de Charybde en Scylla. Par crainte d’un attentat contre le saint père, on colle dans les pattes de notre bonhomme une prostituée belle à damner tous les saints de la terre (Claudia Cardinale, radieuse et absolument magique) afin qu’elle lui extirpe les raisons qui le poussent à vouloir absolument ce tête à tête…

Une trame comme celle-ci a du vous mettre directement la puce à l’oreille et comme le mot est prononcé plusieurs fois dans le film, n’hésitons pas à renchérir en qualifiant l’audience de fable kafkaïenne. Avec son sens de l’humour noir et l’aide du grand scénariste Rafael Azcona (dont je vous parlais à propos du Bourreau de Berlanga dont l’univers n’est pas tellement éloigné de celui de Ferreri), l’auteur de la grande bouffe montre un individu broyé par l’immense machinerie bureaucratique du Vatican.

D’abord assez drôle dans son absurdité (il se retrouve dans les bras de la belle Aiche et cherche une aide du côté d’un prince excentrique – extraordinaire Gassman, toujours aussi drôle que cabot !- qui met en scène tout un cérémonial avant de consentir à lâcher quelques renseignements) ; le parcours d’Amedeo devient de plus en plus oppressant et inquiétant. Peu à peu, il se fait prendre dans la toile d’araignée d’une vaste machinerie administrative et bureaucratique qui annihile ses capacités de mouvement et sa liberté individuelle.

Sans avoir l’envergure des grandes œuvres que Ferreri réalisera au cours des années 70 (on note ça et là quelques longueurs un brin dommageables), l’audience annonce déjà le pessimisme de ses grandes fables.

On peut déjà voir ici en germe la manière dont le cinéaste auscultera par la suite  le désarroi de l’homme moderne et son incapacité à survivre dans un monde qui le broie (symptomatiquement, il se verra refuser le titre de père et disparaîtra comme les personnages de Break up ou de la dernière femme de n’avoir pu enfanter). De la même façon, l’audience met déjà en scène les rapports problématiques de l’individu et d’un cadre « institutionnel » qui l’écrase : la bureaucratie du Vatican devenant symbole de l’individu aliéné au même titre que l’école (Pipicacadodo), la maison de retraite (le superbe La maison du sourire) ou tout simplement la consommation (la grande bouffe), la famille (La dernière femme) et le couple…

Dans un premier temps, Ferreri soigne d’ailleurs son cadre de manière à faire ressortir la petitesse de son personnage. Le premier interrogatoire où Amedeo se retrouve enfermé dans une vaste pièce vide sans savoir ce qui se trame derrière une mystérieuse porte (un peu d’ailleurs comme la scène finale du Bourreau) est formidablement mis en scène. Ferreri joue aussi beaucoup sur la monumentalité des décors romains, les immenses palais et colonnes qui écrasent notre héros.

Pour traduire cet étouffement, le cinéaste a recours soit à des plans larges, où c’est le décor qui semble l’emporter (cadre rigide duquel ne pourra jamais s’échapper Amedeo), soit de très gros plans  (les champs/ contrechamps sont très resserrés sur les visages) qui interdisent toute respiration, tout sentiment d’espace. Amedeo est prisonnier, un point c’est tout !

Les seules bouffées d’air interviennent lorsqu’il se retrouve avec Aiche, personnage qui semble d’abord jouer un double jeu avant d’offrir à Amedeo un véritable amour dont il ne saura pas profiter (quel intérêt de voir le pape quand on a une Claudia Cardinale chez soi, arborant sans arrêt les plus ravissantes petites robes, coupées de manière à mettre fichtrement en valeur des atouts que nul spectateur mâle ne pourra contester ! Mille tonnerres, je n’arrive toujours pas à m’en remettre ! Et que les zélateurs de la gélatineuse Jessica Alba se donnent la peine de voir ce film !).

Une fois de plus, l’audience n’est sans doute pas un grand film de Ferreri mais rien de ce qu’a réalisé cet homme nous laisse indifférent et il faut le voir pour réaliser à quel point son œuvre fut cohérente et d’une rare acuité…

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