La comtesse noire (La comtesse aux seins nus) (1973) de et avec Jess Franco et Lina Romay, Jean-Pierre Bouyxou

 

Je le laissais entendre mais vous en avez maintenant la confirmation : j’ai craqué. J’ai fait plus de 300 kilomètres pour voir un film que j’avais déjà vu ! Seulement voilà, Jess Franco était là en personne pour présenter son film et étaient également présents son égérie Lina Romay (difficile d’imaginer que cette petite dame rigolarde aux cheveux gris fut la créature incroyablement sensuelle qui se pavane nue pendant tout le film !), Jean-Pierre Bouyxou (oui les amis ! C’est peu dire que je fus ému de le voir pour la première fois) et mon « collègue » Stéphane du Mesnildot qui a écrit un ouvrage absolument remarquable sur l’œuvre du maître (Jess Franco : énergies du fantasme chez Rouge profond).

Cette séance fut pour moi l’occasion rêvée de découvrir la cinémathèque française (je n’y avais jamais mis les pieds) et d’entendre enfin parler de vive voix l’auteur de L’horrible docteur Orlof et de Vampyros lesbos.

La rencontre m’a semblé extrêmement passionnante et souvent très drôle. Ce petit vieillard aujourd’hui handicapé (il se déplace en fauteuil roulant) n’a rien perdu de sa fougue et de sa verve. Ce fut un grand plaisir que d’entendre parler Franco d’Orson Welles et de la manière dont ce dernier l’imposa comme réalisateur de la seconde équipe de Falstaff (plus tard, Franco assurera le montage du grand film inachevé de Welles : Don Quichotte). De la même manière, il fit rire une salle plutôt bien remplie (je ne me rends pas compte de la fréquentation habituelle de la cinémathèque mais il me semblait y avoir pas mal de monde) en donnant les raisons qui le poussèrent à multiplier à l’infini les pseudonymes (il est vrai que porter le même prénom que le fils de Dieu (Jésus) et le nom du caudillo pour un cinéaste réalisant des films incroyablement violents faisait un peu tache dans l’Espagne franquiste !) et en s’insurgeant contre les producteurs qui s’acharnèrent à sortir ses films sous des titres différents et racoleurs (La comtesse noire est devenu aux grés des différentes sorties la comtesse aux seins nus ou encore Les avaleuses ! Et ce ne sont que les titres les plus connus car si j’en crois mes recherches sur Internet, le film aurait eu…21 titres différents !).

Mais ce que j’ai retenu principalement de cette rencontre, c’est l’incroyable liberté de ce cinéaste qui n’hésite pas aujourd’hui à critiquer ses confrères toujours à la recherche de subventions et de crédits d’état. Franco a tourné comme un boulimique des films parfois épouvantablement mauvais (j’ai un souvenir assez éprouvant quoique rigolard de l’abîme des morts-vivants) mais il n’a jamais écouté autre chose que ses étonnantes lubies.

De fait, cette Comtesse noire, une des œuvres que je préfère du cinéaste, peut dérouter tant elle semble dans un premier temps ne pas se distinguer d’un quelconque film érotique du début des années 70. Jugez plutôt : la dernière descendante d’une lignée de vampires se rend sur l’île de Madère où elle tue ses victimes –hommes ou femmes- au moment de l’orgasme. Sur cette trame minimaliste, le cinéaste enchaîne une série de scènes érotiques plus ou moins explicites. Ca pourrait être très répétitifs et convenus et pourtant, ça ne ressemble à rien.

D’une part, parce que comme le soulignaient assez justement les intervenants dans la discussion (Jean-François Rauger, Jean-Pierre Bouyxou – ce dernier incarnant d’ailleurs dans le film le fils aveugle du…docteur Orlof !), Franco traite ces scènes comme un musicien de jazz se lance dans une improvisation. Du coup, c’est à la fois filmé en dépit du bon sens « commun » (le point n’est pas toujours fait sur ce que l’on voit) et en même temps, nous sommes plus proche du cinéma expérimental que du film érotique bas de gamme. Comme le soulignait Bouyxou, Franco se permet une scène « semi hard » assez étonnante dans la manière qu’il a de montrer crûment sans rien montrer (le plan est sous-exposé, la caméra zoome sans arrêt et ne cesse de faire des mouvements saccadés…). Là encore, nous ne sommes pas dans l’esthétique du film porno mais dans une sorte d’ode morbide et incroyablement érotique aux corps.

D’autre part, la comtesse noire me paraît être un grand film romantique. D’un romantisme totalement noir, qui louche parfois sur Sade (dont Franco est un spécialiste : on ne compte plus ses multiples adaptations du divin Marquis) comme dans ce passage où la comtesse Irina Von Karlstein est fouettée par deux femmes (sauf erreur, Alice Arno et Monica Swinn) et où c’est la caméra, avec ce fameux zoom intempestif, qui semble fouetter les corps.

Ce romantisme se lit du premier plan où Lina Romay sort nue des brumes de l’île (l’actrice nous a dis en riant qu’elle était enchantée de se balader à poil dans la nature, surtout à une époque- sous la dictature de Salazar- où cet exhibitionnisme était strictement prohibé. Grâce soit rendue à Jess Franco d’avoir transgressé cet interdit !) à l’un des derniers où elle meurt dans une baignoire de sang sous l’œil de Franco lui-même (la créature qui échappe à son créateur). Tout le film est hanté par une imagerie morbide où se mêlent le vampirisme, le sexe et la mort, l’amour comme transgression suprême et le fantasme comme seul moteur de la fiction.

D’une certaine manière, la pauvreté des moyens dont dispose Franco et la « faiblesse » technique du film lui rendent service et donne à cette œuvre un caractère presque « mental » puisque la comtesse apparaît dès qu’un personnage semble penser à elle. Elle est l’incarnation même du désir (et je pourrais vous tartiner des pages et des pages sur la fascination qu’exerce Lina Romay sans jamais ouvrir la bouche. Elle est tout simplement sublime) et elle devient le centre de gravité d’un espace cinématographique totalement imaginaire.

Certains diront que j’interprète trop ce film mais ils auraient du alors écouter Franco pour avoir la preuve que cet homme n’a jamais rien fait au hasard et qu’il n’a pas tort en affirmant qu’il n’y a pas de cinéma « A » et de cinéma « bis » mais LE cinéma.

Et même s’il a connu des hauts et des bas, Jess Franco (à la différence de Danny Boon, par exemple !) a toujours fait du cinéma…

 

PS : La rétrospective Jess Franco se poursuit à la cinémathèque jusqu’au 31 juillet. Allez-y, bande de parisiens !

Mille mercis à la personne qui m’a gracieusement invité à cette séance (je ne sais pas si elle veut que je la cite) et pardon à Joachim de ne pas l’avoir contacté : j’ai vraiment fait un aller et retour et je n’ai pas eu le temps !

Retour à l'accueil