La colline a des yeux (1977) de Wes Craven

 

La principale chose qui m’a frappé en revoyant ce classique de Wes Craven, c’est à quel point le cinéma d’horreur des années 70 ne fut finalement que la prolongation du western par d’autres moyens et, d’une certaine manière, le négatif de ce genre.

Du cinéma de genre, La colline a des yeux conserve effectivement un certain nombre de conventions. Pour le qualifier, nous dirons qu’il s’agit d’un slasher (comme il est désormais convenu de désigner ce type de films) où une petite famille perdue dans une zone d’essais nucléaires désertique se fait lentement décimer par des cannibales autochtones.

Western donc, parce que Craven repart à la conquête du territoire américain et joue plutôt finement avec les grands espaces, les sols rocailleux écrasés par le soleil et un sentiment paradoxal d’étouffement et de claustrophobie qui passe par le basculement régulier des points de vue. En plaçant de temps à autre le spectateur du côté des assassins, il fait planer sans cesse une menace sur la petite famille en goguette et maintient une tension dont le film ne se départira jamais. D’une certaine manière, le cinéaste actualise le schéma classique de la diligence encerclée par les tribus sauvages indiennes.

Mais là où la colline a des yeux agit comme négatif du genre et se rapproche des grands films d’horreur des années 70 (on songe souvent à Massacre à la tronçonneuse), c’est lorsque Craven démystifie toutes les valeurs de l’Ouest américain.

D’une manière ironique, il montre une famille qui tente de rejouer la quête des pionniers (le patriarche recherche une mine d’or). Mais là où le western édifiait des mythes sur lesquels allait reposer toute une civilisation, Craven montre au contraire un retour à la barbarie et à la sauvagerie la plus extrême. La famille de cannibales, qui porte des noms de planètes (Jupiter, Mars, l’hallucinant Pluton et son crâne rasé) évoque bien plus le retour à un âge préhistorique (remarquez comment sont vêtues les femmes !) que la famille idéale érigée en pilier de la civilisation américaine.

Le film est une virulente remise en cause de la famille traditionnelle et comme Tobe Hooper et sa famille de dégénérés (Cf. Massacre à la tronçonneuse), Wes Craven fait de cette institution un vecteur de violence et de brutalité. Sa vision de l’humanité est extrêmement noire et désespérée et c’est sur une note totalement nihiliste que s’achève le film.

Comme un certain nombre de grands films des années 70, La colline a des yeux montre une nation ravagée par une violence qui vient s’immiscer jusqu’au cœur de la cellule familiale. L’intelligence du cinéaste, c’est de ne pas jouer la carte du manichéisme basique et de montrer, à travers la manière dont la famille traquée s’organise pour se défendre, que nul n’est à l’abri de ces accès déments de violence. C’est en ce sens qu’il faut interpréter le dernier plan glaçant du film : la victime est également possédée par la folie meurtrière…

La mise en scène de Wes Craven est au diapason de ce sentiment nihiliste. Une fois encore, l’envie nous prend de le rapprocher du Massacre à la tronçonneuse d’Hooper : même filmage fruste et « sale », même pauvreté de moyens qui n’empêchent pourtant pas une vraie innovation formelle. J’ai déjà parlé des renversements d’axes et de changements de points de vue qui permettent au cinéaste de jouer sur la profondeur du champ et de donner le sentiment d’un espace piégé. Il faudrait aussi évoquer la sécheresse tranchante du montage et l’excellent travail sur la bande-son (comme Craven coupe « court », c’est souvent le son qui fait office de raccord et qui « déborde » sur l’image, créant un sentiment d’étrangeté accentué par quelques notes de musique synthétique distordues).

Même si le film n’est pas exempt d’un certain humour noir, la colline a des yeux nous renvoie à une époque où le cinéma d’horreur n’était pas un simple divertissement aseptisé destiné aux ados mais un véritable « états des lieux » d’une certaine crise de civilisation touchant les Etats-Unis. Et c’est finalement moins les exactions « gore » (finalement plutôt rares et assez prudes) du film qui impressionnent que la sauvagerie qui imprègne chaque mouvement des personnages jusqu’à déteindre sur les « victimes innocentes ».

Même chez Craven (qui réalisera pourtant d’excellents films), on ne retrouvera jamais une telle radicalité…

Retour à l'accueil