Truman Capote (2005) de Bennett Miller avec Philip Seymour Hoffman

 

 

Ne comptez pas sur moi pour vous parler beaucoup de l’actualité cinématographique en ce moment : je n’ai jamais vu un calendrier des sorties aussi peu attirant que celui de ce mois de mars. A part le soleil de Sokourov (qui par ailleurs peut être un cinéaste très emmerdant) qui n’arrivera sans doute jamais jusqu’à nos écrans provinciaux, il n’y a vraiment rien à se mettre sous la dent. Nous avons donc joué la carte de la découverte en allant voir ce film, plutôt bien accueilli par la critique, consacré à l’écrivain Truman Capote.

De Ray à Bird en passant par Chaplin, Howard Hugues et Mohammed Ali (entre autres), on sait que les américains affectionnent particulièrement le « biopic » ; ces films consacrés aux biographies de personnalités étant devenus un genre en soi.  Ca serait mentir que de dire que nous n’éprouvons pas un certain plaisir à voir retracées les vies d’artistes ou de stars excentriques avec plus ou moins de fidélité (encore qu’il faille bien sûr faire le tri entre l’ivraie –Chaplin- et le bon grain –le merveilleux Man on the moon de Milos Forman). 

D’un autre côté, il est vrai que le genre draine aussi un certain nombre de clichés un peu usant à la longue (le modèle ascension/ déchéance ayant vraiment beaucoup servi).

 

 

La première qualité de Truman Capote, c’est de ne pas s’inscrire totalement dans ce modèle du « biopic » mais de n’extirper de la vie de l’écrivain que cette période pendant laquelle il écrit son chef-d’œuvre : De sang-froid. On connaît désormais tous la généalogie de ce livre : un fait divers crapuleux (deux petits malfrats assassinant sauvagement toute une famille pour quelques dizaines de dollars), et un écrivain inventant le « roman-vérité » , empruntant à la fois aux méthodes du journalisme d’investigation et aux codes du romanesque pour rendre compte de cette affaire. Miller fait donc de Capote une sorte d’inspecteur qui se rend sur les lieux du crime, interroge des témoins et va jusqu’à se lier d’amitié avec les criminels pour leur extirper des aveux. L’intelligence du cinéaste, c’est d’avoir vu que les méthodes littéraires utilisées par Capote reflétaient également des enjeux cinématographiques. Jusqu’à quel point l’Art doit se nourrir du Réel pour fonctionner ? Dans quelle mesure le regard de l’artiste fait infléchir le réel et le manipule ? comment faire de la réalité une fiction (et vice-versa) ? voilà les questions auxquelles se trouvent confrontés Miller et Capote.

Et lorsqu’il s’agit de mettre en lumière ces questions (plutôt que d’y répondre), le cinéaste se montre plutôt habile et prend des partis-pris de mise en scène intéressants.

Primo, il évacue tout le folklore relatif au personnage Capote, le pédé mondain et alcoolique (deux ou trois courtes scènes de soirées où notre homme fait rire la galerie et c’est expédié) , fréquentant toutes les stars de l’époque (Bogart, Huston, Monroe… Miller a le bon goût –surtout si l’on se souvient de la terrifiante actrice singeant Ava Gardner dans Aviator- de ne pas jouer la carte du musée Grévin et du défilé de sosies).

Deusio, il ne se laisse pas entraîner sur la pente du « film enquête » que suggérait l’affaire en elle-même et les moyens mis en œuvre par Capote pour la comprendre. Pas (ou presque mais nous allons y revenir) de reconstitution de la scène du meurtre originel, pas de lourde insistance sur les scènes d’interrogatoires, de procès… Ce qui intéresse le cinéaste, ce n’est pas l’enquête en elle-même mais la manière dont Capote se l’approprie. Puisqu’il doit écrire un roman, l’essentiel passe par les mots. L’écrivain les utilise mieux que personne et s’en sert pour manipuler un des deux coupables et l’inciter à se confier. Il joue le rôle du meilleur ami, du confident alors que son ambition est entièrement tournée vers les pages qu’il pourra écrire. L’artiste est ici une sangsue qui se nourrit de la substance même du Réel (« j’ai l’impression de naître par une porte tandis qu’il disparaît par l’autre » dit-il en substance de son protégé). Le dilemme terrible auquel il se trouve confronté, c’est de laisser de côté toute éthique (Capote a besoin de la condamnation de ces hommes  pour conclure son livre) au profit de considérations esthétiques.

En ce sens, j’ai pensé à une phrase de George Bernard Shaw résumant parfaitement cette absolue supériorité de l’Art sur la vie : «  il est plus facile de remplacer un homme mort qu’un bon tableau ».

Un des plus beaux moments du film est peut-être cette scène où Capote lit des extraits de son livre à un parterre de gens captivé. A ce moment, la réalité retranscrite par des mots s’échappe et devient fiction. Dans le même ordre d’idée, le moment où bascule le film est celui où le prisonnier arrive enfin à parler de cette fameuse nuit. A cet instant précis, Miller peut jouer enfin la carte de « l’illustration » car l’on comprend que la « réalité » n’a plus vraiment d’importance, qu’elle a été vampirisée par l’écrivain qui peut enfin mettre des images sur un insoluble mystère (comment un être humain peut en arriver à de telles extrémités).

 

 

L’expérience limite de Capote sur De sang-froid tendrait à prouver que le Réel n’existe pas et que la présence de l’artiste finit fatalement par infléchir sur les évènements. Or en dessinant son personnage, Miller ne retient pas cette leçon et joue la carte du mimétisme absolu et c’est là que le bât blesse. Alors bien sûr, Hoffman ressemble à s’y méprendre à Capote (pour ceux qui désireraient voir vraiment l’écrivain, je leur recommande vivement le cultissime Un cadavre au dessert où il incarne le deus ex machina de l’histoire – à l’attention de Boulet et Yo, c’est Lionel Twain !) mais ce mimétisme fait écran à la véritable substance du personnage. Alors que le propos du film montre que le Réel n’existe que dans la mesure où il a été reconstruit par le regard d’un artiste ; Miller se contente du plus plat vérisme. Du coup, même si l’acteur n’est pas en cause, on ne voit que la performance de l’imitateur et tout ce qui concerne les relations entre Capote et son entourage me semble assez raté (on n’arrive pas à sentir réellement l’ambiguïté de la relation qui le lie au prisonnier : l’attirance physique, la fascination, la répulsion…)

 

 

Alors que le propos du film est passionnant et mis en scène de manière plutôt intelligente, le personnage lui-même finit par l’étouffer un peu en obstruant tout ce qu’il pourrait y avoir de vertigineux et d’ambigu. Paradoxalement, c’est cette volonté de produire une image « vraie » du personnage qui éloigne le film du Réel et de ses multiples facettes.

A cette réserve près, Truman Capote est une œuvre ambitieuse et intéressante qui mérite le détour.

 

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