Link (1985) de Richard Franklin avec Elisabeth Shue, Terence Stamp

 

En le citant dans le fameux questionnaire estival qui nous a tous bien occupé, Ludovic m’a donné envie de revoir Link, film découvert il y a fort longtemps et que je n’avais pas revu depuis la fin des années 80. Avec l’intéressant et très curieux Patrick, Link est sans doute le film le plus connu de Richard Franklin, cinéaste australien décédé il y a peu.

Jane Chase (la sublime Elisabeth Shue, que j’ai tant aimé dans Harry dans tous ses états de Woody Allen), étudiante en zoologie, est engagée pendant l’été pour servir d’assistante à un professeur bougon (Terence Stamp). Dans la villa du vieil homme, Jane fait connaissance avec trois chimpanzés que son professeur est parvenu à dresser. L’un d’entre eux, Link, paraît même presque humain tant ses capacités « intellectuelles » semblent étendues (il sert de majordome au maître des lieux, il sait allumer une cigarette et fumer…). Peu à peu, le comportement du singe devient néanmoins de plus en plus suspect…

Link est un étrange film fantastique qui fuit comme la peste les effets racoleurs et parvient à distiller le malaise par petites touches. L’intelligence de Franklin, c’est d’avoir inventé à travers la figure de ce chimpanzé un personnage de cinéma à la fois proche de l’homme tout en conservant sa singulière étrangeté.

Au départ, Link n’apparaît que comme un enfant capricieux que la belle Jane devra apprivoiser (il boude, fait des caprices…). Ce comportement le rapproche en quelque sorte de nous mais il reste toujours cette animalité qui le rend irréductiblement mystérieux. Le cinéaste évite d’ailleurs deux écueils : d’un côté, l’anthropomorphisme bêta qui aurait fait du quadrumane meurtrier un personnage régit par des passions strictement humaines (par exemple : l’amour et la jalousie pour la jeune femme) ; de l’autre, d’en faire un simple animal tueur comme le cinéma d’horreur les affectionne même s’il jette généralement son dévolu sur les requins, les crocodiles, les loups ou, éventuellement, les piranhas…

Pendant tout le film, Link reste une créature ambiguë, à la fois compagnon apprivoisé et affectueux de l’homme mais également son ennemi. La scène la plus troublante est celle que signale Ludovic dans son questionnaire, à savoir ce moment où Link observe Jane lorsqu’elle va prendre son bain et refuse de s’en aller. Par ce regard, Link se rapproche d’un être humain amoureux qui dévore des yeux l’objet de son désir (et comme on comprend ce veinard lorsqu’on a en face de soi Elisabeth Shue !), de l’autre, rien de plus inquiétant que cette insistance, ce refus de bouger chez le singe. On comprend dès lors que l’idylle qui pourrait éventuellement se nouer entre la belle et la bête (Cf. le beau Max mon amour de Oshima) va glisser sur le terrain d’un terrible violence.

Tout l’art de Richard Franklin va être de faire glisser le récit vers le fantastique horrifique en « douceur ». Mise à part une fin un peu plus classique (avec le boy-friend insipide et ses deux potes qui viennent au secours de Jane) et un poil longuette, le film est remarquablement tenu et joue sur le caractère diffus de la menace qui plane. La mise en scène est au diapason : Franklin filme d’abord d’une manière très classique, presque platounette puis, insidieusement, il joue sur des compositions plus insolites et un montage plus inventif pour créer des effets de décadrage. Tout se passe comme si le filmage était contaminé lui aussi par l’étrangeté qui gagne le récit.

Bien sûr, tout n’est pas parfait dans Link. Je pense par exemple à l’abominable musique synthétique, très datée (les années 80 dans toute leur horreur !) qui fait office de B.O. De plus, si l’on excepte Stamp et Shue, la direction d’acteurs laisse un peu à désirer et l’atroce VF à laquelle j’ai eu droit n’a pas arrangé les choses.

Malgré cela et quelques baisses de régime somme toute bénignes, Link tient plutôt bien le choc des années et reste, plus de 20 ans après sa sortie, un film curieux et ambigu à mille lieues des grosses ficelles d’un certain cinéma fantastique animalier…

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