As tears go by (1988) de Wong Kar-Waï avec Andy Lau, Maggie Cheung, Jackie Cheung

 

 

 

Au bout de six notes consacrées à sept de ses films, vous allez peut-être vous lasser de mes incessants éloges à l’égard de Wong Kar-Waï. Je vais donc essayer d’être concis aujourd’hui mais, que voulez-vous, je n’allais pas manquer le premier film du maître qui, par ailleurs, était le seul que je n’avais pas vu jusqu’à présent.

As tears go by fait figure à la fois d’exquise esquisse tout en étant plus qu’un simple brouillon de l’œuvre magistrale à venir. Ce qui frappe d’abord, c’est l’ancrage du film dans le terreau du genre. Le cadre reste celui du film noir de HongKong et le scénario ne fait que reprendre l’éternelle histoire des luttes de gangs mafieux qui se partagent des territoires et qui s’entretuent pour des dettes non réglées ou des honneurs froissés. Wah (Andy Lau) est le caïd ténébreux dont nous épousons le point de vue. Il doit sans cesse venir au secours de son « frère » Fly (Jackie Cheung), un jeune chien fou qui met toujours sa vie en danger.

Pour ceux qui ne connaissent que les derniers films de WKW, la violence brute d’As tears go by surprendra peut-être même si la stylisation adoptée (ralentis qui décomposent le mouvement, le soin accordé au cadre et à la lumière) annonce déjà Chungking express et les anges déchus. 

 

 

Dans ce monde de brute arrive justement un ange en la personne de Ngor. Cousine de Wah, elle débarque de sa province et s’installe provisoirement chez lui le temps de faire des examens médicaux. Bien sûr, notre dur à cuir tombe amoureux d’elle et on ne peut que le comprendre lorsqu’on sait que c’est Maggie Cheung, toute juvénile, qui incarne ce personnage. L’actrice est tout simplement la grâce incarnée et la caméra amoureuse de Wong Kar-Waï sait mieux que quiconque la magnifier. Elle est tout simplement lumineuse. Une relation amoureuse s’ébauche entre les deux. Déjà le cinéaste fait preuve de son génie pour filmer avec une délicatesse à nulle autre pareille le trouble d’un sentiment qui naît (Wah qui frôle la main de Ngor pour lui retirer doucement une cigarette qu’elle tient entre ses doigts).  

On reconnaît aussi sa manière unique de fétichiser un instant précis avec cette conscience aiguë que le temps ne vous le rendra jamais. Les détracteurs du cinéaste lui reproche son maniérisme formel , la joliesse de ses images masquant le vide du propos. Je ne suis pas d’accord dans la mesure où cette forme traduit d’une manière totalement bouleversante le caractère fugitif du temps et les regrets qu’il charrie. Wong Kar-Waï ne fait que ça : montrer le « passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps » (pour reprendre le titre d’un film de Guy Debord). Dès As tears go by on ressent cette mélancolie qui irriguera toute l’œuvre du cinéaste, cette volonté de fixer le temps (que ce soit par le décompte de boites de conserve dans Chungking express ou ici, lorsque Ngor annonce à Wah qu’elle a caché un verre et qu’il lui faudra l’appeler quand il en aura vraiment besoin) tout en ayant conscience de sa fuite inéluctable (de ce point de vue, l’utilisation des « tubes » ou d’une même rengaine musicale fonctionne à merveille).

 

 

Entre les codes du film de genre, une violence ultra-stylisée, de belles choses sur la fraternité (la relation entre Wah et Fly évoque aussi le cinéma de John Woo) et l’approche déjà mélancolique de la fuite du temps et des amours avortés ; As tears go by annonce la naissance d’un immense cinéaste. Outre ses indéniables qualités (c’est vraiment un beau film), c’est cela que nous retiendrons d’abord…

 

 

(Vous voyez, je n’ai pas fait long).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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