Le long du fleuve
La captive aux yeux clairs (1952) d’Howard Hawks avec Kirk Douglas, Dewey Martin, Elizabeth Threatt
Quelque soit le genre qu’il ait abordé, Howard Hawks a réussi à imposer son style et à créer une unité dans son œuvre. Et qui d’autre peut se targuer d’avoir réussi des chefs-d’œuvre aussi bien dans le western (Rio Bravo) que dans la comédie (Chérie, je me sens rajeunir) ou le policier (le grand sommeil) , dans le film de gangsters (Scarface) ou la comédie musicale (les hommes préfèrent les blondes). La captive aux yeux clairs relève à la fois du western (le récit mythique des pionniers s’avançant dans le territoire américain à la conquête de l’Ouest) et du film d’aventures (celles que vivent notre bande de trappeurs le long du fleuve Missouri).
Jim (Kirk Douglas) et Boone (Dewey Martin) sont deux aventuriers qui se retrouvent engagés par des trappeurs français pour remonter le Missouri et aller négocier avec une tribu indienne le commerce de fourrures et, accessoirement, pour leur ramener la fille du chef qu’ils ont réussi à tirer des griffes d’une tribu ennemie.
Pionniers contre indiens, conquête du territoire américain , on reconnaît la thématique principale du western et on a dès lors envie de faire la comparaison entre Hawks et le maître du genre : John Ford. Tandis que Ford est le cinéaste de la Nation, celui qui inlassablement réécrit le récit fondateur de l’Amérique en l’inscrivant dans le mythe (il lui faudra un certain temps pour prendre en compte le peuple indien), Hawks s’intéresse avant tout aux rapports humains. C’est d’ailleurs pour cette simple raison que je le préfère largement à Ford (que j’admire aussi mais qui est beaucoup plus cocardier). Et si vous ouvrez votre « parfait petit manuel du critique débutant désireux de briller à peu de frais en société » à l’article « Hawks », vous lirez qu’il est bienvenue de parler de « caméra à hauteur d’hommes ». Par là, il faut entendre que seul les rapports complexes que nouent des individus intéressent le cinéaste. Et généralement, ces rapports s’incarnent surtout dans une amitié virile entre deux hommes (qui parfois prend l’allure, comme dans Rio Bravo, d’un rapport de filiation).
Dans The big sky (étant donné que le titre français n’a rien à voir avec l’original, je vous donne une fois pour toute le titre en VO ! ) , Hawks filme volontiers le lien ambigu entre Jim et Boone qui font connaissance en se tapant dessus (c’est ça, les hommes !) et deviennent inséparables alors même qu’ils partagent le même objet d’affection (en l’occurrence, cette fille indienne).
Ne tenant qu’en piètre estime le professeur Lacan, nous n’irons pas chercher les sous-entendus homosexuels dans ce film même si ça relèverait du jeu d’enfant dans le cinéma de Hawks. On a tous en mémoire la fameuse scène de l’excellent la rivière rouge où John Wayne et Montgomery Clift comparent de manière explicite la longueur de leurs colts. Ici, lorsqu’un vieil homme parle d’amour et de jolie fille à Jim, c’est sur le visage de Boone qu’Hawks fait des plans de coupe, montrant de façon ambiguë la manière dont ces histoires font naître le désir chez le jeune homme mais font également de lui un objet de désir.
Tout le film fonctionne sur les sentiments non avoués des personnages. Sans appuyer le moins du monde, Hawks montre merveilleusement comment cette jeune indienne arrive à séparer les deux amis qui la convoitent. Jim sait qu’il a perdu la bataille même si Boone fait mine d’abandonner son amante (à l’eau !).
Que le personnage féminin soit une indienne est également très bien vu. Là encore, Hawks se moque du manichéisme primaire (bons cow-boys contre cruels indiens) et prend en compte l’altérité. D’une part, cette femme ne dira pas un mot en anglais ; de l’autre, les aventuriers seront amenés à comprendre et respecter une culture différente et à établir des relations pacifiques. Dans la captive aux yeux clairs, même s’il y a une bataille épique avec une tribu indienne (filmée de manière admirable, du point de vue du bateau assailli par les combattants depuis la rive) , le véritable ennemi n’est pas ce peuple. Comme aujourd’hui, le danger ne vient pas de l’Etranger mais d’une grande compagnie prête à toutes les compromissions pour dominer le marché et faire un maximum de profit.
Pour conclure, toutes ces banales considérations que je viens de vous livrer ne doivent pas vous faire oublier qu’il s’agit avant tout d’un film de genre, un grand spectacle merveilleusement mis en scène (l’utilisation des décors naturels grandioses est parfaite) et totalement divertissant.
Tout cela prouve à ceux qui séparent arbitrairement et abusivement le « divertissement » du cinéma « de réflexion » qu’ils se mettent un doigt dans l’œil. Et qu’un film « divertissant » ne doit pas être synonyme d’abrutissement (ex : Pirates des Caraïbes 1) et que le film de genre peut aussi être nuancé et intelligent.
A bon entendeur…
1 Il est évident que cet exemple est loin d’être le pire mais c’est une manière de répondre à un commentaire peu pertinent (c’est un doux euphémisme) de ma sœur…