Le silence de Lorna (2008) de Jean-Pierre et Luc Dardenne avec Arta Dobroshi, Jérémie Rénier

 

Je ne suis pas un fanatique du cinéma des frères Dardenne. Tous les films que j’ai pu voir d’eux (la promesse, Rosetta, Le fils) m’ont intéressé mais ne m’ont jamais emballé. C’est sans doute ce manque d’enthousiasme et la peur de revoir toujours la même chose qui m’a empêché d’aller voir l’enfant, leur deuxième palme d’or.

En attendant les salves de sorties intéressantes qui s’annoncent pour les semaines à venir (Garrel, Woody Allen, Cantet, Bela Tarr,…), j’ai quand même rattrapé mon petit retard et me suis décidé à aller voir le dernier opus des frères belges.

A priori, rien de bien nouveau sous le ciel de leur filmographie : une fois de plus, ils collent aux basques d’une jeune femme décidée comme au temps de Rosetta, ils filment la réalité au ras d’un quotidien le plus tristounet possible et savent donner l’illusion qu’ils prélèvent leurs personnages de l’épaisseur même du « Réel ».

Comme toujours également, ce cinéma dégage une sorte d’énergie brute qui parvient à séduire même si, à mon sens, on a tort de réduire les frères Dardenne à leur « style » (cette caméra à l’épaule qui accompagne les personnages au plus près). Je ne comprends d’ailleurs pas l’étonnement que certains ont affiché lorsque le silence de Lorna a obtenu au dernier festival de Cannes le prix du scénario. Il s’agit effectivement d’un film très scénarisé (malgré l’impression de liberté de mouvement qu’il dégage), à la construction particulièrement habile, notamment en raison de ce gros coup de théâtre narratif au mitan du film qui permet au récit de rebondir.

Les cinéastes savent agencer un nombre important de petits détails pour attirer l’attention du spectateur et lui donner l’impression qu’il en sait toujours moins que ce qui se passe réellement à l’écran. Par exemple, la première fois que Lorna rentre chez elle et rejoint Claudy (J.Rénier), elle lui demande de fermer les rideaux puis annonce qu’elle va se coucher. L’homme la rejoint dans la chambre mais c’est pour extirper un matelas de sous le lit et l’emmener au salon. Le spectateur est d’emblée intrigué par ce couple étrange et c’est petit à petit qu’il comprend que Lorna et Claudy ont contracté un mariage blanc pour que la jeune immigrée albanaise obtienne la nationalité belge (d’où la discrétion dans tous les gestes de la jeune femme qui n’appelle pas, par exemple, son amant depuis son portable mais depuis une cabine téléphonique). Chaque détail, même le plus insignifiant, a son importance et s’intègre dans un récit très construit.

Si je poussais la provocation plus loin, je dirais que le silence de Lorna est presque un thriller, avec un couple vedette, un héros « positif » qui veut à tout prix s’en sortir (Claudy est toxicomane) et un salaud intégral (le chauffeur de taxi, qui organise les mariages blancs et menace la vie de Claudy pour que Lorna puisse se remarier très vite). Cette menace qui pèse sur Claudy créée une tension qui évoque, là encore, le cinéma de genre.

Vous allez me dire que je délire complètement et que la description que je fais du film ne correspond absolument pas à la vision du cinéma « social » et « réaliste » des frères Dardenne.

J’y viens.

Je suis généralement assez sévère avec les films qui se contentent d’illustrer leur scénario. Or il est évident qu’avec les Dardenne, nous ne sommes pas dans ce schéma là. Même si je persiste à écrire que le silence de Lorna est un film très construit, très écrit ; le scénario est parfaitement incarné par la mise en scène. Et je dois avouer que c’est pourtant dans cette manière qu’ont les cinéastes de donner chair à leur récit que je tique encore un peu.

Sans doute parce que leur choix se porte vers une vision assez naturaliste des choses qui, très subjectivement, ne me touche pas vraiment. On sent qu’ils recherchent quelque chose d’autre que la captation, aussi habile soit-elle, du quotidien le plus sordide. On sent que plane sur Le silence de Lorna l’ombre tutélaire de Bresson (les gros plans sur les échanges de billets de banque en ouverture du film) et qu’ils recherchent une forme de transcendance (l’amour ? la conscience de l’Autre ? Dieu ?) au delà des contingences du réel. Sauf qu’il me semble qu’il manque ici ce petit rien de stylisation qui permettrait au film de réellement décoller et d’atteindre cette universalité abstraite qui est la marque des grandes œuvres de Bresson (Pickpocket, Mouchette, Au hasard Balthasar…).

Pour le coup, on reste encore trop dans le cadre d’un cinéma naturaliste, pas totalement dépouillé de ses oripeaux « sociaux » (les mariages blancs, les conditions de vie des immigrés dans l’Europe des marchands…). Attention ! Ce n’est quand même pas du même niveau que ces petits films misérabilistes crapoteux qu’on voit souvent en France. Les Dardenne font preuve d’un véritable tempérament de cinéastes, ne serait-ce qu’en construisant leur mise en scène autour du point de vue unique de Lorna et en jouant sur cette proximité pour souligner la complexité du personnage. Comme elle, le spectateur est d’abord cloîtré dans sa chambre, à la fois interpellé et agacé par le monde alentour (les plaintes, off, de Claudy qu’on entend derrière la porte) ; avant de s’ouvrir à ce monde, même s’il peut-être inquiétant (une scène très angoissante dans une voiture, un peu avant la fin).

De la même manière, les cinéastes prouvent une fois de plus qu’ils sont de merveilleux directeurs d’acteurs. Jérémie Rénier, en junkie, est toujours sur le fil du rasoir, parfois à la limite de la grandiloquence mais il s’en tire à merveille. Face à lui, Arta Dobroshi est tout simplement fabuleuse, capable d’être aussi incroyablement antipathique qu’elle peut être attachante. Elle est une boule d’énergie déterminée mais également un petit animal traqué toujours au bord des larmes. L’émotion à fleur de peau que dégage son personnage est impressionnante et cette incroyable révélation n’est pas non plus pour rien dans l’intérêt que l’on peut prendre à ce beau film…

 

 

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