Entre les murs (2008) de Laurent Cantet avec François Bégaudeau

 

Vous allez encore dire que je suis de mauvaise foi en comparant ce qui est incomparable mais le hasard du calendrier fait que mon premier réflexe fut de juger Entre les murs à l’aune du dernier opus de Christophe Honoré La belle personne. Et force est de constater que chez Cantet, nous avons au moins l’impression de voir de véritables élèves, pas des acteurs de 25 ans venant faire croire qu’ils passent le bac ! Dès les premiers plans, il y a quelque chose qui fonctionne, un sentiment de véracité qui capte immédiatement l’intérêt du spectateur.

Néanmoins, il est clair que l’aspect véridique d’Entre les murs ne garantit en aucun cas sa réussite. C’est d’ailleurs ce qui m’effrayait un peu avant de le découvrir : la crainte de se retrouver devant un film estampillé Télérama, propice à tous les débats imaginables autour des thèmes de l’école aujourd’hui et du métier de prof. Bref, le gros pudding naturaliste et « citoyen » où le cinéma est évacué au profit d’un typage sociologique grossier, où chaque personnage n’existe qu’en fonction des questions qu’il peut soulever (songeons au très médiocre Ca commence aujourd’hui de Tavernier).

 

Soyons honnête, Cantet n’évite pas toujours cette dimension sociologico-citoyenne-de-gauche mais il arrive globalement à s’en éloigner. Autant ces élèves de quatrième d’un lycée populaire du 20ème arrondissement (un quartier fort mal famé où l’on peut croiser des dessinateurs roux patibulaires) ressemblent à de véritables collégiens (ils en sont, d’ailleurs !), autant Cantet ne prétend pas représenter LE collégien d’aujourd’hui et il est fort probable qu’Esméralda, Louise, Wei et Souleymane ne ressemblent pas à leurs petits camarades du 16ème ou à ceux qui étudient au centre-ville de Dijon. Privilégier l’individualité de ses personnages (même lorsqu’ils sont conformistes : Cf. le petit gothique), voilà déjà une qualité de Cantet. Son film semble fuir le panel sociologique même s’il arrive que la sociologie pointe le bout de son nez dès qu’on sort de la salle de classe.

Si le film est prioritairement centré autour de l’échange qui se déroule entre un prof de français, François (François Bégaudeau), et sa classe, il arrive qu’on quitte l’arène et les fauves pour pénétrer dans la salle des professeurs ou pour assister à un conseil d’administration (ordre du jour : le prix trop élevé du café), voire à un conseil de classe ou à des réunions parents/profs.

Le film faiblit dans ces moment là car malgré sa défiance envers un propos général, Cantet ne peut s’empêcher de glisser quelques notations un brin convenues sur le « malaise des profs » (le collègue qui pète les plombs et veut jeter l’éponge), sur l’incompréhension qu’il peut exister entre les parents et ceux qui vivent l’école au quotidien (voir l’intervention odieuse d’une parent d’élève au conseil d’administration) et, enfin, sur les interrogations globales sur le rôle de l’école aujourd’hui (le débat entre les profs lorsqu’il s’agit de passer un élève devant un conseil de discipline).

 

Par contre, lorsqu’il se concentre sur les joutes verbales entre un prof relativement exigeant mais décontracté, le film devient plus intéressant. Pour moi, ce que Cantet sait le mieux faire, c’est filmer le malaise. J’ai un souvenir assez vif d’un de ses courts-métrages, Jeux de plage, où un père jouait les voyeurs et suivait son fils sur une plage pour mater ses ébats. Je me souviens d’une confrontation père/fils très troublante, distillant un fort malaise qu’on retrouvera dans la fameuse scène finale de Ressources humaines (lorsque le fils, DRH modern style, engueule son père syndicaliste). Et si L’emploi du temps reste, selon moi, son meilleur film, c’est que le cinéaste parvenait à nous offrir le portrait d’un personnage totalement en porte-à-faux avec la société et vivant dans le malaise constant de son mensonge.

Ce sentiment de porte-à-faux, on le retrouve dans Entre les murs : du côté du prof, un brin déstabilisé pour expliquer pourquoi il apprend le subjonctif à des élèves davantage passionnés par la coupe d’Afrique des nations ; mais également du côté des élèves, à l’image de cette petite fille africaine qui vient discuter à la fin du film avec François.

Reste alors à combattre pour prouver que cette confrontation est utile, voire sans doute nécessaire. Cantet filme plutôt pas mal la parole et ses volutes : François qui tente d’attirer l’attention de son groupe mais également de canaliser le flux anarchique des mots des jeunes. Les confrontations sont aussi drôles que tragiques tant le fossé entre les belligérants semble impossible à combler. Nous n’entrerons pas dans les détails du récit mais c’est à cause d’un mot que toute la machine peut s’emballer et exploser.

Je regrette, pour être tout à fait franc, que Cantet n’ait pas adopté un parti pris esthétique un peu plus risqué pour filmer ces mots. Même si les scènes se prolongent, je n’ai pas retrouvé ce travail d’épuisement de la parole qu’il y a chez Kéchiche, par exemple. La mise en scène reste un peu plan-plan, concentrée sur les visages des interprètes. Ca donne à la fois un sentiment d’enfermement (but recherché) mais ça lasse aussi un peu.

Reste cette capacité pour incarner des personnages. Et là, inutile de nier l’immense talent de Cantet pour diriger ses comédiens. Que ce soit Bégaudeau (je ne l’aimais pas comme critique, je ne le connais pas en tant qu’écrivain mais c’est assurément un bon acteur) et surtout les jeunes gens qui l’entourent, toute la distribution est impeccable.

 

J’ai alors songé à Serge Daney lorsqu’il louait 36 fillette de Breillat en écrivant que le cinéma servait aussi à ça, à nous faire rencontrer l’Autre et partager des choses avec les individus les plus opposés à nos préoccupations (il est vrai que le problème de la perte de virginité chez les jeunes adolescentes, Daney devait s’en tamponner le coquillard !). J’ai eu ce sentiment en découvrant Entre les murs : pas de voir un grand film (le tapage médiatique autour de la palme d’or est très exagéré) mais d’avoir affaire avec un peu d’altérité.

Le quotidien d’un prof dans un établissement défavorisé et celui des élèves de cet établissement me sont complètement étranger. Sans avoir recours aux grandes thèses sociologiques, Cantet m’en a appris un peu plus et m’a permis d’avoir partagé quelque chose avec ces gamins et ces profs.

Ce n’est pas grand-chose mais c’est déjà pas mal…

 

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