Ode à la jeunesse
Les amours d’une blonde (1965) de Milos Forman
J’ai eu un grand plaisir à redécouvrir Les amours d’une blonde aujourd’hui. A l’instar de L’as de pique et d’Au feu les pompiers, je l’avais vu dans un cycle consacré à Forman il y a fort longtemps et ne m’en souvenais quasiment plus du tout. Dans mon souvenir, je gardais l’image d’un film léger et plein d’une jeunesse radieuse, à l’image de cette jeune actrice blonde si photogénique qui incarne l’héroïne Andula.
Ce souvenir n’est d’ailleurs pas entièrement faux tant les amours d’une blonde s’inscrit dans ce courant des « nouveaux cinémas » qui surgit au cours des années 60 dans tous les pays du monde (en l’occurrence, nous sommes ici en Tchécoslovaquie soviétique). On y retrouve d’ailleurs les caractéristiques de toutes ces « nouvelles vagues » : une liberté de ton inouïe, une rupture avec les schémas narratifs traditionnels (le récit n’est pas une intrigue charpentée au béton armé mais une chronique de mœurs, comme on dit dans Télérama), des comédiens non professionnels qui parlent de manière naturelle, comme dans la vie (comme au temps du néoréalisme, le « documentaire » s’invite au cœur de la fiction) et une manière d’ériger la jeunesse comme valeur suprême et contestatrice. Face à la chape de plomb étouffante du communisme stalinien en vigueur dans le pays, les héros du film opposent l’insolence et la vitalité de leurs jeunesses.
Mais le film est davantage que ce tableau charmant, « nouvelle vague », d’une certaine jeunesse tchécoslovaque au milieu des années 60. Je n’avais sans doute pas perçu (j’étais trop jeune à l’époque) l’ironie mordante de ce film et cette manière qu’a Forman de contester le pouvoir stalinien comme il contestera plus tard tous les pouvoirs oppressifs : le militarisme américain dans Hair, la censure dans Larry Flynt, l’institution psychiatrique dans Vol au-dessus d’un nid de coucou ou le système médiatique dans le superbe Man on the moon.
Outre le récit des amours de cette jolie blonde qu’est Andula (séduite puis trahie par un jeune pianiste enjôleur), le film décrit la manière dont le pouvoir planifie jusqu’à l’organisation des rencontres matrimoniales. Andula et toutes ses camarades vivent dans un petit bourg industriel déserté par les hommes. Pour éviter la pénurie de main-d’œuvre, l’état-major décide d’envoyer une armée de réserve pour que ces jeunes filles trouvent un mari et ne fuient pas les lieux. Cela nous vaut des scènes fort drôles dans une salle des fêtes où trois soldats physiquement ingrats (« ce sont des papis » se plaignent amèrement les donzelles) tentent de draguer les trois copines.
L’usine, l’armée qui débarque : notre héroïne se voit confrontée à toutes sortes d’incarnation d’un pouvoir omnipotent et aliénant. Pouvoir militaire, pouvoir « moral » (l’incroyable scène où la « camarade éducatrice » fait une leçon de morale aux ouvrières et où celles-ci font leur autocritique : Forman critiquant ici directement les procès staliniens et ironisant sur ce mirage de démocratie où tout le monde vote à main levée) puis pouvoir familial à la fin du film (Andula rejetée par la famille de l’amant qui l’a abusée et qui se retrouve acculée derrière une porte fermée tandis que le père, la mère et le fils se retrouvent dans le même lit, reconstituant en force la cellule familiale).
A travers cette jeune femme qui s’oppose (mais sans ostentation : par sa simple jeunesse et la naïveté de ses sentiments et des films qu’elle peut se faire) à ces différents pouvoirs, Forman réalise une satire assez irrésistible des valeurs rétrogrades d’un monde complètement sclérosé (3 ans plus tard, ce sera le Printemps de Prague et sa féroce répression).
Si le film conserve sa force aujourd’hui alors que la face de la géopolitique a totalement changé, c’est que Forman parvient (certes !) à l’inscrire dans un contexte précis mais également à dépasser ce contexte pour réaliser une œuvre universelle sur la jeunesse, ses illusions et ses désespoirs (le très beau passage où la jeune fille raconte sa tentative de suicide).
C’est drôle, c’est fin, c’est intelligent, c’est poignant et ça donne envie de revoir toute l’œuvre de Forman, cinéaste parfois un peu sous-estimé mais qui persiste pourtant, de film en film, et malgré un pessimisme foncier, à tenir tête à toute forme de pouvoir qu’il cherche à égratigner par la portée de ses œuvres…