House by the river (1950) de Fritz Lang avec Louis Hayward, Jane Wyatt


J'évoquais à propos de La rue rouge la rigueur du cadre de Fritz Lang et la manière diabolique dont sa mise en scène parvenait à enfermer le personnage principal du film. J'oubliais de noter la façon dont le cinéaste jouait avec des motifs visuels récurrents pour prévenir la tragédie qui allait se dérouler.

C'est le même sentiment qui m'est venu à l'esprit en découvrant House by the river où tout semble contenu dans la séquence à tomber qui ouvre le film. D'abord un décor : une maison qui, comme le titre l'indique, se situe au bord d'un fleuve qui charrie toute sorte de saletés lorsque vient sa crue (des cadavres d'animaux). Ces eaux hostiles appellent immédiatement le drame qui va suivre et donne d'emblée au film un aspect délétère et visqueux. Quelque chose comme la projection visuelle de l'âme troublée du personnage principal du film.

En quelques plans renversants, Lang imprime au film son climat, une ambiance putride qui m'a fait songer aux vers de Jules Laforgue :

« Mon cœur est un terreau tiède gras et fétide

Où poussent des fleurs d'or malsaines et splendides »

Stephen est un écrivain raté qui tue par accident (il voulait la faire taire !) une jolie domestique qu'il vient de tenter de séduire. Nous sommes toujours dans la première séquence et, là encore, c'est fabuleux. En quelques plans, Lang parvient à suggérer la naissance du désir chez l'écrivain pour la jeune femme qu'il a autorisé à prendre son bain chez lui : un plan d'une fenêtre éclairée (et l'étincelle qui jaillit dans le regard de Stephen) et le bruit de l'eau qui s'écoule dans les tuyaux de canalisation suffisent à faire naître une tension érotique qui atteindra son paroxysme au moment où Emily descend dans l'obscurité un grand escalier dans un joli déshabillé alors que le maître de maison, caché en dessous d'elle, ne perd rien du spectacle de ses jambes. L'objet de ce blog n'étant pas une analyse plan par plan des films, je ne vais pas plus loin dans la description de la scène mais sachez qu'elle est absolument admirable (découpage parfait, incroyable travail sur la lumière et les ombres qui densifie l'atmosphère moite de la scène).

Lang a tourné ce film pour une maison de production plutôt modeste (la Republic Pictures) mais il parvient à faire, sans grands moyens, du très, très grand cinéma.

Tout sera au diapason de la séquence d'ouverture : Emily morte, Stephen demande à son frère John de l'aider à jeter le cadavre dans le fleuve, qui réapparaîtra, bien entendu, un peu plus tard (le motif du retour est omniprésent, y compris le retour du royaume des morts).

Au-delà des éléments classiques du scénario (l'éloignement entre Stephen et sa femme, la culpabilité de John, le film de procès...), Fritz Lang propose encore un très grand film sur la culpabilité. Comme le « héros » de la rue rouge, les deux frères vont être hantés par la présence de cette morte : l'un commence par l'exploiter cyniquement (il écrit un livre sensationnaliste sur le sujet, quitte à calomnier la défunte) tout en étant tourmenté par son image qui se présente à son esprit tourmenté (formidable idée du poisson qui saute et qui « éblouit » Stephen, comme un éclair de sa conscience) ; tandis que l'autre cherche vaillamment à préserver la mémoire de la morte de toute diffamation, quitte à passer pour son amant caché (donc suspect par déduction).

En déclinant une nouvelle fois le thème de la culpabilité et du remord, Lang nous offre ici une fable où se voient les réminiscences de l'expressionnisme, comme dans ces scènes hallucinées se déroulant la nuit sur le fleuve (le moment où la chevelure de la morte s'échappe  du sac où elle est emprisonnées et flotte à la surface de l'eau m'a rappelé la poésie de Lautréamont). Par ailleurs, le film fourmille de tant de détails qu'il me semble qu'il est difficile d'en épuiser toutes les richesses à la première vision.

Par ailleurs, lorsque le cinéaste confronte les deux frères et que le vrai coupable, parvenu cynique et enrichi suggère à l'autre que son défaut physique (John boite) le rend présumé coupable en lui interdisant des amours au sein de sa classe sociale et en le poussant vers les amours ancillaires ; on sent le regard critique sur un système social où les « exclus » (de l'amour, du pouvoir...) sont forcément les coupables...

Rassurez-vous, ce que je décris pesamment n'est jamais asséné lourdement dans le film : Lang n'insiste jamais sur toutes les dimensions sociologiques, politiques, psychologiques (qui existent pourtant) de sa fable pour se concentrer sur un aspect visuel qui traduit parfaitement un état mental.

Aucune mauvaise graisse là-dedans ! 85 min de pur cinéma ! Un régal.

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