les derniers jours d'Hitler
La chute (2004) d’Olivier Hirschbiegel avec Bruno Ganz
Retour sur un film qui provoqua une mini-polémique à sa sortie : en filmant les derniers jours d’Hitler dans son bunker et la longue agonie du régime nazi, le cinéaste en arrivait-il à « humaniser » le dictateur ? Peut-on déceler une certaine fascination et une ambiguïté dans la chute ? Sincèrement, je ne pense pas et je trouve absurde de vouloir nous faire avaler que le cinéaste éprouve une certaine sympathie pour Hitler sous prétexte qu’il le montre caresser sa chienne. Dictateur, c’est un boulot comme les autres : on ne l’est pas à temps complet du soir au matin et on peut s’accorder une petite pause « tendresse »! Je plaisante mais c’est justement parce que le führer était « humain » qu’il me paraît encore plus terrifiant. En faire un monstre fou à lier, c’est faire de son accession au pouvoir une aberration historique, un accident monstrueux. C’est omettre de réfléchir aux raisons qui ont rendu possible l’existence d’un régime aussi atroce et nier la possibilité du retour de la « bête ».
Le problème de la chute, comme celui d’un autre film controversé, à savoir la dernière tentation du Christ de Scorsese ; c’est qu’on a cherché à créer des scandales là où il n’y avait que mauvais films. Les deux films semblent ne rien avoir en commun mais sont finalement de la même veine : la reconstitution historique et l’imagerie (sulpicienne pour Scorsese, « rétro » pour Hirschbiegel). Le traitement historique du sujet n’est pas choquant en soi (même si j’ajouterai un bémol, nous y reviendrons) et s’avère plutôt intéressant (un ami professeur d’histoire m’a garanti la qualité « historique » du film). Mais c’est la manière dont le sujet est traité qui me paraît imbuvable. Je ne sais pas jusqu’à quand il faudra marteler qu’un film n’est pas une « histoire » mais de la mise en scène. Qu’il faut de vrais partis-pris formels, du style pour aborder la question de la reconstitution historique et ne pas avoir l’impression de sentir le labeur des maquilleurs passant des heures avec Bruno Ganz pour qu’il ressemble le plus possible au vrai Hitler ou la sueur des décorateurs pour que tout fasse « vrai ».
Peu de cinéastes sont arrivés à nous offrir un regard original sur l’histoire en train de se faire. Il y a eu les camisards de René Allio mais tout le monde semble avoir oublié Allio et c’est un tort. La plupart du temps, ces films historiques se réduisent à de beaux costumes, du décorum et de l’imagerie d’Epinal.
La chute ne fait malheureusement pas exception à la règle. Comme avec Hoffman dans Truman Capote, j’ai été gêné par le mimétisme entre Ganz et son modèle. Le grand acteur allemand est irréprochable mais j’ai constamment l’impression de voir un numéro. Pourquoi vouloir faire « vrai » alors qu’il suffirait de faire « juste » ? Ensuite, de la caméra qui tremble à chaque explosion au traitement de la lumière (glauque comme il se doit, dans les ocres et les verts grisâtres) en passant par l’imagerie liée à la décadence d’un régime (beuverie et femmes semi-nues) , tout semble convenu et amidonné. Hirschbiegel ne fait pas de mise en scène mais assemble une série de chromos qui assomme le spectateur le mieux disposé.
On n’échappe pas non plus au symptôme « musée Grévin » avec ce défilé de personnages tristement célèbres (« oh ! voilà Goebbels » , « Ah, ça c’est Eva Braun »…) et totalement figés. Tout cela m’a paru bien lourd et terriblement ennuyeux.
Une seule séquence échappe à cet ennui pesant : celle où madame Goebbels, telle Médée, assassine froidement ses enfants pour leur éviter de connaître un monde sans le national-socialisme. Dans la glaciale horreur de ce moment, le cinéaste dépasse le ronron de sa reconstitution et pointe de manière assez vertigineuse les extrémités où peuvent pousser le fanatisme et la folie. C’est très impressionnant mais ça dure cinq minutes sur deux heures trente !
A travers le geste de l’infanticide se dessine le véritable thème du film : celui d’un régime bien décidé à entraîner tout le monde dans sa chute lors de son suicide. Cantonné dans son bunker, Hitler éructe contre les traîtres, les capitulards et ordonne la continuation suicidaire du combat. S’il échoue, tout le peuple allemand (femmes et enfants compris) doit succomber avec lui.
Il est évident que la folie mégalomaniaque d’Hitler est une donnée historique irréfutable. Pourtant, en n’insistant que sur l’agonie du régime et la volonté du führer d’entraîner tout son peuple dans l’abîme, Hirschbiegel donne une vision du nazisme qui me paraît un peu simplifiée. D’une certaine manière, il montre le peuple allemand prit en otage par un fou furieux. Or si cette dimension est fort plausible en 1945, c’est également faire l’impasse sur le fait qu’Hitler est arrivé au pouvoir par des élections légitimes et qu’il n’aurait pas pu en arriver là sans l’appui d’un peuple conquis par sa doctrine.
Comme les français rejetant l’entière responsabilité de la collaboration sur les épaules des chefs de l’époque, Hirschbiegel tente d’offrir une vision « réconciliée » du peuple allemand et de son histoire (c’est l’anti-Fassbinder, en quelque sorte) en faisant de lui une victime innocente d’un tyran sanguinaire.
Je le répète, ce n’est pas la raison pour laquelle je n’aime pas ce film (après tout, je peux comprendre que 60 ans après, les allemands en aient marre d’être toujours associés aux nazis et à Hitler !) . C’est d’avantage son académisme poussiéreux qui m’empêche d’y adhérer…