Les compagnons de la marguerite (1966) de Jean-Pierre Mocky avec Claude Rich, Francis Blanche, Michel Serrault, Roland Dubillard, Michael Lonsdale, Jean Tissier

 

 

Je le disais à propos de l’étalon : les films de Mocky fourmillent d’idées pour rendre la vie moins triste et pour se révolter contre notre « monde de l’erreur complète » [William Blake]. Après avoir proposé le pillage des troncs d’église (un drôle de paroissien), la création d’un contingent d’étalons destiné à satisfaire les désirs des femmes mal mariées ou la mise sur pied de commandos s’attaquant aux antennes de télévision (la grande lessive) ; voilà que notre cinéaste survolté propose ici de s’attaquer aux registres d’état civil et, tel le grand nabab révolutionnaire Anacharsis Cloots, de refondre l’identité de chacun selon son bon vouloir.

Matouzec (Claude Rich), expert en écritures, travaille à la bibliothèque nationale. Malheureux en ménage (sa femme passe sa journée devant la télévision), il décide un jour de se livrer à un échange. Il propose par annonce  d’ offrir sa femme à un homme à qui elle correspondrait et de prendre en retour la femme de celui-ci. Et pour éviter les lourdes procédures du divorce, la paperasse et la valse des avocats ; il met à contribution son talent pour falsifier les registres d’Etat civil et créer de nouveaux couples ni vu, ni connu…

 

 

Comme d’habitude chez Mocky, la bonne idée de départ fait boule de neige et le film prend des proportions « hénaurmes ». Echauffé par l’idée de « tout faire sauter », Matou fonde une société secrète (ces fameux compagnons de la marguerite) et devient un Robin des bois matrimonial accourant pour secourir tous les malheureux en ménage. Il faut voir le commissaire Papin (Michel Serrault) se rallier à sa cause lorsqu’il se rend compte qu’il va pouvoir se débarrasser de sa femme (un mélange de Jeanne Fusier-Gir –pour le côté bourgeoise revêche- et de Demi Moore –pour le côté paramilitaire et les entraînements musclés qu’elle fait subir à son diable d’homme !) et devenir enfin veuf !

Menée sur un rythme allègre, la farce est souvent amusante et permet une fois de plus à Mocky de s’en prendre joyeusement aux institutions. Les flics sont tournés en ridicule, l’institution du mariage est bafouée (surtout dans son acceptation bien-pensante) et le cinéaste plaide pour l’amour véritable loin de tout formulaire, registre et fiche d’état civil exerçant un contrôle inadmissible sur l’individu libre. Quitte à choisir, et si elle est le fait d’individus consentants et libres, il opte plutôt pour la polygamie joyeuse contre ces unions de convenance dont il est impossible de se défaire ensuite et qui enterrent l’amour sous les décombres de l’ennui et de la morosité quotidienne. On retrouve dans ces compagnons de la marguerite cet esprit frondeur et libertaire qui nous réjouit tant chez Mocky.

Ses films des années 60 vieillissent fort bien (mais je suis persuadé que dans 30 ans, on pourra revoir avec grand plaisir les films qu’il tourne actuellement) et s’avèrent foutrement prémonitoire de cette révolution des mœurs qui allait secouer la France après 68.  Mocky ne cesse de tancer les hypocrites et les pères la pudeur de l’époque avec une verve qui fait toujours plaisir à voir (et qu’on retrouverait avec peine dans les navets que tournent Clovis Cornillac ou Jean Dujardin !).

 

 

A part ça, c’est du grand Mocky 3D : Destruction, Délire et Décapage. Ca part dans tous les sens : les acteurs prennent un malin plaisir à en faire des tonnes (il faut voir Francis Blanche mignonne comme tout dans sa robe de mariée !), les situations sont abracadabrantes (Matou et sa bande finissent par attaquer les mairies avec un camion de l’EDF), les jeux de mots foireux et autres calembours navrants tombent comme pluie sur les côtes du Finistère en automne (Blanche joue le rôle du commissaire Leloup et ne cesse de hurler à la manière de l’animal qu’évoque son patronyme), les détails complètement surréalistes foisonnent (les flics qui tirent sur les pigeons de Paris et les font rôtir au commissariat) , les trognes les plus improbables défilent (de l’exhibitionniste poilu au début du film à la galerie de magistrats du tribunal dans la scène finale). On nage dans l’iconoclastie la plus complète et c’est jubilatoire.

Chapeau Monsieur Mocky !

 

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