Porcherie (1969) de Pier Paolo Pasolini avec Jean-Pierre Léaud, Pierre Clémenti, Ugo Tognazzi, Anne Wiazemsky, Marco Ferreri



Après trois films des Straub et un de Morrissey, poursuivons dans une même veine légère et frivole avec Porcherie, sans doute le plus hermétiquement sibyllin des films de Pasolini. 

Il est vrai que nous sommes dans l'immédiat après-68 et que le cinéma, pour ne pas être en reste avec les mouvements sociaux contemporain, n'hésite plus à larguer toutes les amarres et à partir à vau-l'eau. Jamais on aura autant expérimenté qu'en cette fin des années 60 et aux débuts des années 70. A un point tel que ces films finissent par nous toucher davantage par leurs audaces et leur incroyable liberté que par leurs qualités propres (Porcherie n'en est pas dénuées mais avouons que le visionnage de l'œuvre n'est pas forcément une partie de plaisir !).

Avec ce film, Pasolini abandonne toute velléité narrative et poursuit une veine allégorique qui s'épanouira de manière plus éclatante dans Théorème. Il entremêle deux fables dans Porcherie, sans que nous puissions établir de rapports évidents.

Un des deux récits met en scène deux industriels d'origine allemande qui se menacent mutuellement de chantage avant de s'allier pour la plus grande gloire de leur groupe tandis que le fils de la famille (Jean-Pierre Léaud, qui ne s'est malheureusement pas doublé dans la version française que nous avons pu voir) dissimule des secrets sulfureux à sa fiancée, incarnée par Anne Wiazemsky qui fréquente les milieux révolutionnaires.

L'autre récit montre un homme (le toujours habité Pierre Clémenti) qui erre, tel les Gerry de Gus Van Sant, sur le flanc d'un volcan, dans de vastes étendues désertiques et rocailleuses. Nous ne saurons rien de lui, sinon qu'il tuera un homme avant de le manger et de se faire arrêter par un groupe d'hommes dont nous ignorerons tout.

L'épisode Clémenti est sans doute le plus obscur des deux. Aucune indication ne sera octroyée au spectateur qui n'a, dès lors, plus que le loisir d'admirer le talent de metteur en scène de Pasolini qui filme les paysages avec un certain souffle, intensifiant un découpage audacieux par une photographie admirable (ah, ces magnifiques plans d'ensemble où se détachent au loin de vagues silhouettes humaines !). Certains y verront sans doute beaucoup de symboles mais je préfère y voir une sorte de « trip » à la Zabriskie Point (mon film préféré d'Antonioni) ou à la Garrel (je n'ai pas vu ses premiers films mais j'ai déjà eu l'occasion de voir quelques images de la cicatrice intérieure auquel on songe ici).

L'autre récit joue davantage sur la rigueur de la mise en scène. Les plans sont tirés au cordeau et les éléments verticaux des décors (colonnes, embrasures de portes...) les structurent de manière très forte et quasi-géométrique. Même une banale figure de style comme le champ/contrechamp fait l'objet de cette géométrisation de l'espace, Pasolini préférant jouer sur la frontalité (les personnages se parlent et se répondent en regardant la caméra) et la rupture plutôt que d'épouser la traditionnelle « ligne des yeux » (oblique) du montage classique.

Le propos est plus clair dans ce segment narratif puisque Pasolini s'en prend à la fois violemment à la morale bourgeoise qu'il abhorre (ce capitalisme monstrueux qui reproduit, sous une autre forme, les horreurs de la seconde guerre mondiale et qui loge d'ailleurs en son sein d'anciens nazis enrichis) et à la « génération 68 » en qui il ne voit que des petits bourgeois égoïstes. Ce n'est peut-être pas tout à fait faux mais toujours est-il que ce sont ces « petits-bourgeois » qui ont réellement menacé l'ordre dominant lors du joli mois de mai et que la fusion aurait pu s'accomplir avec le milieu ouvrier si celui-ci n'avait pas été, une fois de plus, trahi par les partis bureaucratiques et les syndicats. Loin de moi l'idée de faire de Pasolini un vulgaire éditorialiste de l'humanité mais je reste persuadé que quelque chose lui a échappé dans l'esprit de 68 (ce sont d'ailleurs toujours les bourgeois qui ont fait les révolutions !).

Bref, revenons à nos moutons, enfin, à nos cochons et constatons que le cinéaste affiche une rage qui le pousse à filmer l'humanité comme un ramassis de porcs, voués à s'entre-dévorer et à disparaître.

La bourgeoisie n'a désormais plus qu'à s'accoupler avec des porcs (voir le personnage de Léaud) avant d'être dévorée par eux.

Cette virulence s'incarne dans un registre de farce bouffonne et outrée, ce qui permet à de véritables personnages de comédies (Tognazzi, Ferreri) de s'en donner à cœur joie dans la monstruosité gourmande.

Pas un chef-d'œuvre mais un film aussi stimulant qu'exaspérant, original mais obscur et dont l'éclat et la singularité ne sont pas prêts de se ternir...

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