Whity (1970) de Rainer Werner Fassbinder avec Günther Kaufmann, Hanna Schygulla, Ulli Lommel



A la fin des années 60 et aux débuts des années 70, le jeune Fassbinder est pris d'une frénésie de filmer qui ne cessera d'ailleurs jamais tout au long de sa (trop courte) carrière.

1970 constitue d'ailleurs un sommet puisque le cinéaste ne tournera pas moins de sept films cette année-là. Inutile de préciser que devant un pareil cas de boulimie, le fignolage n'est pas toujours de rigueur. Le rarissime Whity apparaît donc plutôt comme une de ses œuvres mineures (pour l'année 70, je préfère le très beau Rio das mortes), peut-être même une de ses plus faibles. Mais inutile de dire qu'un « petit » Fassbinder n'aurait aucun problème à s'immiscer aujourd'hui dans un quelconque classement des 10 meilleurs films de l'année ! 

Le film est encore très marqué par l'antiteater (« programme » lancé dans le cadre de l'action-theater créé en 1967) et les effets de distanciation.

Pourtant, pour la première fois de sa carrière, Fassbinder paie son tribut au cinéma hollywoodien dont il raffole : Whity est un véritable western avec saloon et famille sudiste décadente (les cinéphiles les plus pointus repèreront des références à l'esclave libre de Walsh et au Morocco de Sternberg).

 « Whity », c'est le surnom donné au serviteur nègre (Günther Kaufmann) d'une vaste demeure où s'agite le clan Nicholson : le père, que les autres membres de la dynastie croient mourrant, la mère (une nymphomane) et les deux fils (l'un est homosexuel, l'autre est débile mental). Dans cette atmosphère lourde, chacun agit par égoïsme et cupidité. Tout le monde tente de mettre la main sur l'héritage familial et utilise « Whity » pour les sales besognes...

Vu aujourd'hui, le film paraît un peu « raide » et un brin monocorde : Fassbinder refuse encore le lyrisme qui rendra la majeure partie de ses films absolument bouleversants et tient sans arrêt le spectateur à distance. Il ne s'agit pas de s'identifier aux personnages mais de décortiquer avec rigueur la mécanique des rapports sociaux qui les unissent.

Chez Fassbinder, l'individu est souvent dans une situation d'enfermement (sexuel, social, politique...) et accablé par le joug de la « sphère du monde » qui s'oppose à lui. Dans Whity, on retrouve ce sentiment d'enfermement sauf qu'il s'agit ici d'un univers clos, où les affaires du monde extérieur n'entre pas en compte.

Même le serviteur noir, qui pourrait représenter la classe des prolétaires exploités est, en fait, un membre illégitime de la famille. Nous sommes en vase clos et il ne peut y avoir au bout du chemin que l'autodestruction de cette dynastie qui, finalement, ne représente qu'elle-même.

Fassbinder filme cette course vers l'abyme avec une certaine froideur, jouant souvent sur la frontalité des plans. On sent néanmoins la transition d'une oeuvre entièrement irriguée par le théâtre vers une exploration plus précise des moyens propres du cinéma (pour la première fois, il travaille avec le grand chef opérateur Michael Ballhaus qui signe ici une très belle photographie).

Nous pouvons également voir poindre les thèmes chers au cinéaste : les rapports de soumission/domination (le très beau passage où les maîtres s'amusent à sonner Whity pour qu'il leur amène un paquet de friandises posé à 10 centimètres d'eux), les rapports de classe (le personnage de Whity, victime des préjugés raciaux et xénophobes, annonce cet immense chef-d'œuvre qu'est Tous les autres s'appellent Ali) et l'extrême ambiguïté des rapports amoureux (« l'amour est plus froid que la mort » disait le titre d'un film précédent de Fassbinder).

Manque sans doute ici cette sève, cette capacité d'incarnation qui fera le prix des grandes œuvres du cinéaste.

Avec Whity, film tombeau, il filme des personnages déjà morts (voir les visages outrageusement maquillés et blanchis au fond de teint) et parvient davantage à nous intéresser qu'à nous toucher...

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