Action / Réaction
Les choristes (2003) de Christophe Barratier avec Gérard Jugnot, François Berléand, Marie Bunel
Il m’est parfois reproché de ne parler que de films peu connus et surtout peu vus, empêchant ainsi un certain nombre de mes aimables (et courageux) lecteurs de commenter mes notes. Vous allez pouvoir aujourd’hui vous rattraper puisque nous allons évoquer le gros succès surprise de ces dernières années. Je retrousse mes manches pour m’acquitter de cette rude besogne : déboulonner cette statue qu’on a érigé comme symbole d’un cinéma français triomphant. Je me prépare également aux rudes représailles que je risque de recevoir en retour. On ne touche pas effectivement sans impunité à un monument. Car, au même titre qu’Amélie Poulain, l’abbé Pierre, Zidane ou Johnny (et Aragon ! eh ! eh !), c’est aujourd’hui ce que sont devenus ces choristes : une institution. Restons donc fidèle à notre rôle d’entrepreneur en démolition des institutions !
Je ne sais pas si vous avez fait attention à ce détail mais le film débute par un plan du drapeau américain. L’ambition est claire : face à la toute-puissance de l’Amérique, les choristes se veut une machine de guerre franco-française , une réaction à la mondialisation par le retour au terroir et aux bons sentiments.
Evoquons, si vous le voulez bien, cette question de « l’exception culturelle française ». Je trouve que c’est évidemment une bonne chose si elle consiste à préserver une diversité et une singularité aux cinématographies nationales. Maintenant, il ne s’agit pas de défendre un film sous le seul prétexte qu’il est français (rien à foutre de ce nationalisme rance !) et réduire le cinéma hexagonal à des sous-produits (mal) copiés sur les américains (les productions Besson) ou à un retour au bon vieux temps de l’artisanat des années 40/50. A ce compte là, mieux vaut défendre les vrais artistes américains qui tentent d’imposer leurs regards au sein d’un système de plus en plus formaté.
Que sont ces Choristes censés sauver le cinéma français ? Une ressortie tardive d’une antiquité de la fin des années 40 (la cage aux rossignols de Dréville avec Noël-Noël) que Barratier ne prend même pas le soin de moderniser. Le critique de Télérama parle d’un film hors de toute mode : c’est absolument faux. Des Enfants du marais à Je vous trouve très beau en passant par Une hirondelle a fait le printemps, les choristes s’inscrit dans cette tendance néo-rustique qui va chercher à la campagne le sens des « vraies » valeurs.
Face à des gamins qui n’ont rien de commun avec ceux que peuvent connaître les professeurs dans leurs salles de classe, Clément Mathieu (Gérard Jugnot, impeccable) est un saint laïc qui va faire triompher les bons sentiments, l’esprit « boy-scout », « petits chanteurs à la croix de bois » et la solidarité face à un méchant directeur tyrannique (Berléand, irréprochable lui aussi). Le film se veut rassembleur : il dénonce à la fois l’autoritarisme aveugle mais prône un certain retour aux bonnes valeurs d’antan (la cohésion du groupe, le sens « civique…Pourquoi pas militer pour le retour du service militaire obligatoire ?). Il flatte la majorité silencieuse en faisant de l’être le plus anonyme un rouage essentiel de la cohésion sociale. Pourquoi pas mais quel rapport avec la France de 2006 ? Comment croire une minute à cette guimauve qui fait éternuer à chaque plan tant elle sent la poussière et la naphtaline ?
D’une certaine manière, l’antidote idéal aux Choristes, c’est l’esquive. Même thème (comment l’art, que ce soit le chant ici ou le théâtre là, peut permettre à l’individu de se révéler et de s’extirper de sa condition) mais traitement radicalement opposé. D’un côté, l’angélisme surannée d’une France réconciliée ; de l’autre, un film sombre sans être pessimiste qui montre que certains peuvent s’échapper de leur prison par le théâtre (les filles du film) alors que d’autres resteront à jamais condamnés à leurs « origines », au carcan de leur langage (voir la manière dont Kéchiche filme Krimo à la fin du film, emprisonné derrière des vitres). Dans l’esquive, il y a une dynamique entre le passage du langage de la rue à celui de Marivaux, il y a mise en scène de ces déplacements. Dans les choristes , il n’y a pas d’accroc mais seulement la révélation d’un talent collectif.
Je n’irai pas plus loin. D’une part parce que je trouve ce film sans intérêt mais d’autre part, parce que ça ne rime à rien de s’acharner sur une œuvre qui ne le mérite pas (je serais plus sévère si l’on tente de l’exhiber comme modèle de ce vers quoi le cinéma français doit tendre !). Part rapport aux bessoneries décérébrées ou aux comédies beaufs et vulgaires qui polluent les écrans (dont Camping semble être le dernier avatar !) ; les choristes reste un film modeste et respectueux de son spectateur.
Il n’empêche que ça reste du téléfilm antédiluvien qui aurait gagné à être diffusé sur France 3 un soir d’été…