Chantons sous la pluie (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly avec Gene Kelly, Debbie Reynolds, Donald O'Connor, Cyd Charisse


C'est amusant de penser que Chantons sous la pluie figure désormais dans tous les classements des « meilleurs films du monde » (7ème ici) dans la mesure où ce type de palmarès semble sceller dans le marbre ce qui se présente à nous comme le plus léger des divertissements (au sens le plus noble du terme). Rien de présomptueux ou d'emphatique dans le film de Donen : juste une de ces productions Arthur Freed pour la MGM touchée par la grâce. Et un éloge délicieux de l'entertainement que résume à lui tout seul le numéro d'anthologie effectué par Donald O'Connor (le génial Make'em laugh)

Comme son faux frère jumeaux Tous en scène, Chantons sous la pluie se déroule dans le milieu du spectacle et plus particulièrement du cinéma. Pour sauver un navet absolu, les comédiens et danseurs décident de le transformer en film musical et de doubler l'actrice principale (Jean Hagen, parfaite en ravissante et horripilante idiote) dont la voix est abominablement aigue. Les numéros de ce « film dans le film » deviennent la charpente principale du final de Chantons sous la pluie ; final fastueux et incroyablement raffiné, qui annonce clairement celui de Tous en scène (le spectateur a d'ailleurs le plaisir d'assister à un numéro splendide avec Cyd Charisse). Comme dans le film de Minnelli, nous sommes dans un univers de décors en carton-pâte qui, par la grâce de la mise en scène et du découpage, devient un espace cinématographique d'une rare beauté qui fait exploser les limites de la scène. La danse avec le voile (ceux qui ont vu le film comprendront) est tout simplement magique, non seulement en raison de la chorégraphie, du génie du couple Kelly/Charisse mais également de ce décor nu et coloré qui m'a presque fait songer aux toiles de Tanguy.

Chantons sous la pluie tire sa force de cet équilibre constant entre un univers « réaliste » qui bascule soudain au cœur de la fiction et de la féerie.

C'est sans doute un jugement erroné que de prendre la comédie musicale pour le genre le plus « irréaliste » qui soit. En s'inscrivant dans le cadre du cinéma (plus particulièrement, ce moment charnière où le chanteur de jazz révolutionne un septième art qui devient parlant), le duo Donen/ Kelly nous offre une évocation assez juste de cet univers où le parlant fit office de véritable révolution (comme le personnage incarné par Jean Hagen, certains comédiens ne purent jamais s'adapter à cette nouvelle donne et furent écartés en raison de leurs voix, de leurs dictions ou de l'outrance de leurs jeux...). Cela nous vaut d'ailleurs la scène tordante du tournage du film où le malheureux réalisateur tente en vain d'apprendre à ses comédiens à bien parler dans le micro.

Le « réalisme » du genre tient aussi dans la manière dont ces cinéastes « classiques » (Donen, mais aussi Minnelli) surent filmer les performances des danseurs en limitant le découpage afin de bien traduire leurs performances (les seules coupes discrètes permettant justement de ne pas donner l'impression d'une « performance » mais, au contraire, d'un mouvement fluide et gracieux). La réalité de ces corps en mouvement fait aussi le grand intérêt du genre et son érotisme intrinsèque.

De la même manière, si la musique et la danse déréalisent le récit, elles permettent d'exprimer d'une manière très forte les sentiments des personnages. A ce titre, le numéro de Gene Kelly qui donne son titre au film (Singin' in the rain) représente pour moi la quintessence de cet art précieux de la comédie musicale. Don Lockwood sort sous une averse mais il est heureux : ses projets artistiques semblent rebondir et il est très amoureux de la pétillante Kathie (Debbie Reynolds). Tout l'art de Donen et Kelly va être de traduire cet état d'esprit de manière cinématographique et fictionnelle. Cet art repose sur un sens très sûr de la transition. Kelly sort et commence par fredonner le thème du morceau en s'accordant sur le son de la pluie qui tombe. Et comme dans le fameux Dancin' in the dark de Tous en scène, un orchestre imaginaire peut alors se mettre à jouer et nous entrons dans le domaine de la fiction. Inutile de redire à quel point le passage est euphorisant : vous le connaissez tous ! Seulement préciser que ce numéro inverse ce qui fait la charpente du film : ce n'est plus l'espace scénique qui éclate et devient un véritable univers cinématographique mais notre vaste monde (ici : une rue pluvieuse) qui devient une scène où s'expriment les sentiments les plus intenses (parce qu'ils sont sublimés par la musique et la danse).

On aura beau le voir et le revoir, jamais Chantons sous la pluie ne déméritera son titre de grand classique tant il met du soleil dans le cœur et tant son charme semble indémodable...




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