Kung-fu ou pornographie?
Duo mortel (1971) de Chang Cheh avec David Chiang
Autant vous rassurer tout de suite, nous ne nous épancherons pas longtemps sur le film à disséquer aujourd’hui. A force de ne voir que des « classiques » du genre (King Hu, la 36ème chambre de shaolin, la rage du tigre…), on oublie un peu rapidement que le film de kung-fu est aussi un genre où prospéra le produit bas de gamme. Du nanar en série qui ne s’éloigne finalement pas énormément du genre pornographique. Car au fond, qu’est-ce que la pornographie ? Au-delà de toutes considérations morales sur lesquelles nous nous refusons de camper entre gens civilisés (nous ne sommes pas au Puy-du-fou !), c’est avant tout quelque chose d’immuable, le retour du même n’offrant au spectateur que la morne routine d’une « vérification optique d’un phénomène purement technique » (je crois que c’est Daney qui disait ça).
D’une certaine manière, la publicité est d’essence pornographique (comme dans un film X, on nous vend le « produit » parfait et l’image n’a plus comme simple fonction que d’illustrer le bon fonctionnement dudit produit…), tout comme sont pornographiques les « reality-show » d’autrefois et la « télé-réalité » d’aujourd’hui.
Dans leurs acceptations les plus basses, le film d’horreur ou de kung-fu relèvent aussi de la pornographie : des scénarii réduits à leur strict minimum et prétexte à prouver que des corps abstraits (jamais de « personnages » dans ce genre de films) sont en bon état de fonctionnement (ils doivent pouvoir saigner ou se battre gracieusement).
Et même un cinéaste très doué comme Chang Cheh (la rage du tigre est un bon film) a du se résoudre à ce type de besogne.
Duo mortel, c’est la lutte entre une dynastie gentille (les Song) et une dynastie méchante (les Jin). Les Jin ont enlevé le prince Kang et la mission des gentils consistera à délivrer ledit prince. A partir de cette trame Durassienne en diable, l’objectif de Chang Cheh sera de placer le maximum de scènes de combats filmées avec force zooms (attention au mal de mer !) et effets sanguinolents kitsch à souhait.
C’est très nul et vite assez emmerdant de voir tous ces gens se taper sur la gueule. Néanmoins (c’est là où je sors mon joker), le cinéma de kung-fu (et d’horreur) auront toujours une supériorité sur le film X traditionnel, c’est qu’ils ne sont pas tributaires du « réalisme ».
Filmer le sexe sans mise en scène (comme le tout-venant du cinéma porno, donc), c’est se confronter à une réalité des corps difficilement muable. Sortis de deux ou trois positions plus ou moins acrobatiques, ce « réalisme » photographique s’avère vite insupportable tant il est répétitif et mécanique.
L’horreur et le kung-fu permettent d’échapper au réalisme des corps, et par là même, peuvent donner lieu à une stylisation. Regardez dans Duo mortel ces valeureux guerriers qui défient les lois de l’apesanteur quand ils se castagnent. Lorsque le cinéaste met un peu en scène ses combats, ça devient finalement assez récréatif et vaguement décoratif.
Ca ne m’amènera tout de même pas à vous conseiller le film mais certains passages sont rigolos et vifs (Chang Cheh n’est, malgré tout, pas un manchot). Faut malgré tout aimer l’ambiance chambrées de bidasses et bastons viriles car le cinéaste a le mauvais goût d’exclure toute femme de son film.
Dans le genre impardonnable, je ne crois pas qu’il existe un crime plus grave et il ne faut jamais perdre de vue ce que disait fort justement Truffaut : « Tristesse sans fin des films sans femmes »…