Orlof et les classiques (VII)
On purge bébé (1931) de Jean Renoir avec Michel Simon, Fernandel
LE PREMIER DISCIPLE. Maître, le débat qui nous divise aujourd’hui nous paraît insoluble. Aussi venons-nous vous consulter pour que vous jetiez un peu de lumière sur la question de l’adaptation théâtrale au cinéma…
LE DEUXIEME DISCIPLE. Le recours au théâtre m’a toujours paru un artifice un peu simplet dont usent les cinéastes peu regardants des moyens propres au cinéma ; les dialogues et les répliques plus ou moins spirituelles masquant l’absence de mise en scène. Ca me paraît encore plus flagrant lorsqu’il est question de filmer des pièces préexistantes…
LE PREMIER DISCIPLE. Tu n’oses tout de même pas prétendre que Sacha Guitry ne faisait pas de mise en scène !
LE MAITRE. Je vous arrête ! (s’adressant au deuxième disciple) Tu as fait, d’une manière inconsciente, un distinguo sur lequel il me semble nécessaire de revenir. De quoi parlons-nous ? D’une théâtralité propre à un certain type de films ou de véritables mises en scène de pièces dramatiques ?
LE PREMIER DISCIPLE. Je vois ce que vous voulez dire même si je ne saisis pas totalement la nuance…
LE DEUXIEME DISCIPLE. Moi non plus. Le théâtre, c’est le théâtre et pas du cinéma. Des dialogues déclamés, de la psychologie mais pas de l’image, du montage, du cadre…
LE MAITRE. Allons, allons…Tu ne crois tout de même pas que la mise en scène n’a pas aussi son importance au théâtre ?… Je vais cependant tâcher d’être plus clair. Si je distingue les deux, c’est parce que j’estime qu’il n’y a rien de plus déplorable qu’un film qui cherche à masquer sa théâtralité sous couvert de « réalisme ». Dans ce cas là, le scénario dialogué (et la psychologie qui va de pair avec) prime sur la mise en scène et plombe les films dans l’académisme le plus vieillot…
LE PREMIER DISCIPLE. N’est-ce pas ce que reprochait les futurs cinéastes de la Nouvelle-Vague aux anciens de la « Qualité Française » ?
LE MAITRE. Exactement ! si ce cinéma de « scénaristes » (les Aurenche, Bost et Jeanson) a tant vieilli, c’est qu’il n’est en fait que du mauvais théâtre pas mis en scène. Avec les pièces filmées, nous sommes dans un autre registre. La théâtralité y est assumée et revendiquée et devient le principal enjeu du film. Les cinéastes se doivent alors de trouver des solutions de mise en scène, ne serait-ce que pour filmer la parole…
LE PREMIER DISCIPLE. D’ou l’intérêt du cinéma de Guitry…
LE MAITRE. …Et la réussite de films comme la servante aimante de Jean Douchet ou la fausse suivante, le meilleur film de Benoît Jacquot !
LE DEUXIEME DISCIPLE. Admettons pour Guitry et sa manière de mettre en scène son propre personnage. Mais ce n’est pas une généralité ! Prenez On purge bébé. Le montage est quand même assez faiblard et le film plutôt statique. Renoir se contente ici d’enregistrer une pièce de théâtre et les seuls qualités que je veux bien trouver au film viennent de la pièce de Feydeau…
LE MAITRE. Après tout, c’est déjà bien d’arriver à donner à entendre la voix de l’auteur ! Je comprends cependant tes réserves. Nous sommes ici en présence d’une œuvre mineure et récréative que Renoir a tourné durant le montage fastidieux de la chienne. Néanmoins, je te trouve un brin sévère pour un film qui me paraît malgré ses faiblesses s’inscrire parfaitement dans l’œuvre du cinéaste.
LE DEUXIEME DISCIPLE. Thématiquement, peut-être. On purge bébé est une satire sociale très caustique et Renoir a sûrement repris à son compte les saillies de Feydeau…
LE PREMIER DISCIPLE. J’avoue avoir bien ri ! ce n’est pas toujours très léger et se passe beaucoup du côté ses selles, des intestins et des pots de chambre mais quand ces sujets sont abordés sur le ton badin de la conversation la plus bourgeoise, on pense (toutes proportions gardées) au Fantôme de la liberté de Buñuel et à son renversement des conventions…
LE DEUXIEME DISCIPLE. J’admets. Les acteurs sont aussi très bien. Enfin, surtout Michel Simon qui me paraît être le seul à éviter le côté trop « théâtral » de l’entreprise…
LE MAITRE. Mais c’est là l’intérêt du film : ne jamais tenter de cacher la scène et la topographie du théâtre (regardez la manière dont les personnages sortent du cadre, par les portes, comme au théâtre). C’est la pièce qui est l’objet même du film et la manière dont Renoir la cadre est intéressante. Mais c’est vrai que le montage n’est pas totalement à la hauteur…
LE PREMIER DISCIPLE. D’un autre côté, le film ne dure que 45 minutes et on n’a pas le temps de s’ennuyer…
LE MAITRE. Pouvons-nous estimer que ce que tu viens de dire peut tenir lieu de conclusion ?
LES DEUX DISCIPLES. Nous en finirons là pour aujourd’hui, mais comptez sur nous pour revenir vous interroger…
(A suivre…)
NB : J’ai revu également La chienne du même Renoir mais exceptionnellement, ce film a donné lieu à une note sur mon autre blog.