Semaine Bénazéraf : part 2
L'enfer sur la plage (1965) de José Bénazéraf avec Marina Nicolaïdes, Georges Planchon (éditions K-Films)
Alex, un ancien mercenaire a accompli diverses besognes pour ses employeurs, notamment celle de vendre des armes inutilisables à un pays du Proche-Orient. « Grillé » auprès des services anglais du contre-espionnage et recherché par ceux qu'il a floués, il coule des jours inquiets sur un yacht, en compagnie de sa femme Hélène et de son second Jean (accessoirement l'amant d'Hélène). Le trio est perturbé par l'arrivée d'une jolie blonde qui se prétend sirène...
Toutes les informations que je vous donne, c'est Bénazéraf qui nous les offre d'emblée dans un carton introductif qui semble avoir été rajouté à la fin du film pour permettre de lui donner une certaine cohérence (sans ce carton, il est strictement incompréhensible).
Drôle de pari que d'évacuer dès le début la substance même du récit (on se contrefiche de ce scénario) pour ne plus se concentrer que sur une atmosphère délétère et des personnages à la dérive. Mais le cinéaste, même s'il ne signe pas ici son meilleur film, relève plutôt bien ce pari. Il suffit pour s'en convaincre de lire ce qu'en pensait l'office catholique à l'époque pour être fixé :
« Déconseillé. Film moralement dangereux, en raison de la fausseté des thèses exposées, et par le climat malsain, licencieux et désespéré. »
Peut-on rêver plus belle accroche ? Car mine de rien, c'est effectivement ce « climat malsain » et « désespéré » qui fait l'intérêt de L'enfer sur la plage.
Une fois de plus Don José filme des personnages sur qui plane un sentiment très fort d'absurdité. Même si l'histoire de manipulation finale n'est pas forcément convaincante d'un point de vue strictement narratif, elle corrobore ce sentiment d'avoir vu des personnages privés de toute liberté, trompant leur ennui entre farniente et relations extraconjugales.
Tout le film baigne dans une atmosphère poisseuse où se mêlent le soufre du désir et l'haleine viciée de l'existentialisme le plus noir. Par un art consommé du décadrage (ces scènes de plage où l'élément naturel amenuise l'être humain et le rend portion congrue), la mise en scène de Bénazéraf traduit parfaitement cette fuite de sens (eh ! eh !) et se rapproche, d'une certaine manière, du cinéma d'Antonioni (toutes proportions gardées : je ne tiens pas à être à l'origine de l'apoplexie de Michel Ciment !).
Il n'empêche que certains passages contemplatifs, où les couples marchent au bord de la mer, font furieusement penser à l'avventura.
Personnages prisonniers d'une existence absurde, les pantins qui s'agitent mollement devant la caméra du cinéaste me semblent un peu moins forts que ceux de La nuit la plus longue. La psychologie existentialiste alourdit un petit peu la sécheresse du montage du précédent huis clos et Bénazéraf se montre aussi un peu plus timoré lorsqu'il s'agit de faire sourdre les désirs et les pulsions. Le spectateur aura droit à un strip-tease mignon mais relativement timide et contrairement à ses actrices, le film manque parfois un peu de relief.
Ces quelques réserves ne nous empêchent pas de trouver une vraie beauté à cet Enfer sur la plage, qui scintille par éclat dans des scènes purement contemplatives ou qui va se nicher dans un passage monté plus audacieusement (une scène d'attaque de yacht où Bénazéraf monte trois, quatre plans à la Eisenstein) ou encore quelques plans superbement cadrés.
Il y a également les leitmotivs musicaux de Chet Baker qui irriguent de leur mélancolie profonde cet étrange film sans espoir...
NB : Plus de détails sur l'édition des films de Bénazéraf ici...