Pour une poignée de tocards
Burn after reading (2008) d'Ethan et Joel Coen avec George Clooney, France McDormand, John Malkovich, Brad Pitt, Tilda Swinton
Mon camarade Vincent évoquait récemment, avec son brio coutumier, la notion de « films de fêtes ». Est-il possible de débuter cette note en affirmant que Burn after reading pourrait faire figure d'exemple parfait comme œuvre à déguster pendant les fêtes ? A priori, non : les Coen sont des « auteurs » (voir leur parfaite réussite de ce début d'année No country for old men) et un « film de fêtes » a pour principale caractéristique d'être systématiquement diffusé à la télévision à la même période. Ce sont des œuvres qu'on a plaisir à revoir à Noël (Chantons sous la pluie, les Chaplin sur Arte, Peau d'âne...) ou pas (« Oh non ! Pas encore Sissi !).
Or nous sommes ici en présence d'une nouveauté et le temps n'a pas encore donné sa patine à ce parfait divertissement. Mais gageons qu'au fur et à mesure des diffusions télévisées de ce film (rêvons un peu !), Burn after reading pourrait devenir l'une de ces friandises comiques dont les générations futures se régaleront entre la dinde aux marrons et la messe de minuit !
Pourquoi ce film pourrait-il prétendre à ce statut ? Tout simplement parce que totalement bâti sur du vide, il carbure au pur principe de plaisir. Toute la trame rocambolesque que les Coen s'amusent à échafauder ne repose sur rien et prend une ampleur que par une série de malentendus. Ce n'est pas la première fois que les cinéastes construisent un film sur ce principe (souvenons-nous du très sous-évalué Le grand saut qui montrait comment la montagne du capitalisme n'accouchait que d'une souris dont le cerceau -un cercle autour du vide- était le symbole parfait). Mais il y avait alors une volonté chez les cinéastes de compenser ce vide par un travail très graphique sur la mise en scène (des films comme Arizona junior ou le grand saut sont des espèces d'hilarantes BD animés !).
Dans Burn after reading, la mise en scène s'avère beaucoup plus classique (à quelques exceptions près, notamment le superbe premier raccord du film et les scènes se déroulant dans les bureaux de la CIA) même si elle n'est pas dénuée de malicieuses inventions (les agents de la CIA perdus qui commentent l'action et permettent quelques ellipses gourmandes).
Toutes proportions gardées, le film m'a fait songer à certains films d'Hitchcock (notamment la mort aux trousses), eux aussi bâtis sur du vide. Il ne s'agit pas ici d'un homme qui est pris pour un autre mais d'un CD (le « MacGuffin ») qu'un stupide employé d'une salle de gym (Brad Pitt) découvre et qu'il imagine recelant de coûteux secrets. A partir de là, je renonce à vous raconter un scénario délirant où se mêlent des histoires d'adultère, d'espions mis à la retraite anticipée, d'employée de salle de fitness désireuse de soumettre son corps à la chirurgie esthétique et de personnages un brin paumés qui cherchent le grand amour par Internet...
Le rythme est mené tambour battant et les acteurs s'en donnent à cœur joie. George Clooney (troisième collaboration avec les brothers après O brother et Intolérable cruauté) est parfait en séducteur falot et vieillissant, France McDormand (l'inoubliable shérif enceinte jusqu'aux dents de Fargo) est également très drôle en quadragénaire obsédée par son corps. Personnellement, je préfère Malkovich ici (en espion alcoolique et écarté par ses supérieurs) à sa prestation de pasteur chez Eastwood. Mais la bonne surprise, c'est Brad Pitt. Voilà un acteur pour lequel je n'avais jamais eu le moindre intérêt mais qui s'avère ici absolument tordant. En ado attardé et totalement débile, il fait des étincelles, que ce soit grâce à son look ringard ou aux yeux qu'il plisse lamentablement pour tenter d'impressionner Malkovitch.
Je ne pense pas qu'il faille voir autre chose dans Burn after reading qu'une volonté chez les Coen de construire un film sur du vide et selon un procédé d'accumulation (qui donne lieu à une ou deux scènes assez violentes et décalées par rapport à la ligne « grand public » du film). Certes, on s'amusera de voir les cinéastes railler la paranoïa américaine (France McDormand, sans doute pas spécialiste de géopolitique, tente de joindre les services secrets russes !) ou l'imbécile et totalitaire culte de l'apparence (tout ce qui a trait à la salle de sport et à la chirurgie esthétique- la quintessence de l'horreur- est absolument réjouissant). On déplorera, pour faire la fine bouche, quelques redites et quelques facilités (le gag potache, mais qui fonctionne assez bien, de la chaise inventée par Clooney pour le plus grand bonheur de ces dames !)
Les Coen ont sans doute fait mieux mais dans une année cinématographique plutôt tristounette et en cette période de fêtes, inutile de se priver de cette délicieuse sucrerie...