Seul contre tous
Le pélican (1973) de et avec Gérard Blain
Je ne l’avais pas suffisamment souligné à propos du Rebelle mais le pélican s’articule également autour d’une relation familiale très forte. Ici, il ne s’agit pas de l’affection qui unit un frère pour sa petite sœur mais de l’amour fou d’un père pour son fils dont il a été séparé pendant 10 ans (emprisonnement, divorce…). Omniprésente chez Blain, la famille ne doit cependant pas s’entendre dans son acception traditionnelle. Il ne s’agit pas de louer, tel le neu-neu Villieriste de base, la famille en-soi (Paul, le héros du film, ne s’entend absolument pas avec son père) mais de montrer de petites oasis familiales, derniers îlots de résistance envisageables face à un monde abject.
Nous parlions de Bresson la dernière fois et force est de constater une fois de plus que Blain réalise un film relativement austère et dépouillé. Après quelques scènes d’exposition assez banales (mis à part un très beau plan de berceau dans la nuit éclairé de manière à lui donner un côté presque fantomatique), où Blain montre le quotidien modeste d’un couple (lui-même incarne Paul, le musicien) et de son enfant nouveau-né. Puis, après une ellipse très rude (Paul sort de prison après 9 ans d’emprisonnement) ; le film se réduira à la description minutieuse des efforts fait par Paul pour approcher son fils.
Raconté de cette manière, vous pouvez avoir un geste de recul et craindre un mélodrame larmoyant sur le thème de « jamais sans mon fils ». C’est mal connaître Gérard Blain (puisque je vous dis que c’est un cinéaste à redécouvrir !). Il n’y aura dans le pélican aucune scène d’hystérie collective ou d’effusion de larmes : la douleur n’en est que plus forte car elle est supportée en silence. Idem pour le style : peu de dialogues, une mise en scène épurée qui épouse le point de vue unique de Paul.
Cette parfaite communion entre la mise en scène et le regard de Paul est assez radicale et donne une vraie force au film en ce sens que tous les obstacles que le musicien rencontre, nous les ressentons avec lui. Je m’explique. Paul se heurte d’abord à son ex-femme qui s’est remariée avec un homme richissime et qui coule des jours heureux dans une villa luxueuse à Lugano. Eloigné par ce couple, Paul se contente dans un premier temps de venir se poster au bord de la propriété et d’observer son fils avec des jumelles. Et Blain se tient à ce point de vue, filmant le temps de longs plans généraux et fixes les gens de la propriété (avec en toile de fond l’affreuse soupe musicale qu’écoutent les habitants du lieu. Comme le rebelle et sa BO synthétique signée Catherine Lara, la musique du Pélican est totalement atroce !).
En « forçant » le regard du spectateur, Blain nous offre quelques notations très justes sur les barrières qui séparent Paul, être solitaire et introverti (même au bistrot, le découpage de la mise en scène l’isole, le laisse seul dans les plans) et le nouveau monde de son ex-femme. Ce monde, c’est celui de l’argent et du pouvoir (lorsqu’un panoramique, épousant la vision des jumelles, balaye l’espace de la propriété, le cinéaste s’arrête sur la domestique qui trime tandis que ses patrons se font dorer au soleil). Pouvoir qui permet de séparer un père de son fils : lors de leur première rencontre, l’homme qu’a épousé l’ex-femme de Paul lui propose un chèque conséquent pour qu’il s’éloigne de son enfant. Pouvoir qui permet également d’avoir avec soi toute l’armada institutionnelle, des lourdes procédures judiciaires qui favorisent celui des parents qui peut montrer « patte blanche » aux flics qui arrêtent violemment Paul parce qu’il a « enlevé » son fils pour passer la journée avec lui.
Comme tous les personnages du cinéma de Blain, Paul est un incorruptible qui refuse de se plier aux diktats de l’argent et de la société. Aux ignominies du monde, il oppose le pouvoir de son amour sans limite et sa révolte (moins poussée ici que dans Le rebelle. Nous parlerons plutôt d’un sain refus de se résigner).
Et c’est ce cri d’amour et de révolte qui nous touche le plus et qui nous font dire que Gérard Blain et son cinéma précieux nous manque énormément…