Lola (1960) de Jacques Demy avec Anouk Aimée, Marc Michel, Elina Labourdette



Comme son héroïne, Lola est un film aux multiples visages. Contentons-nous de décliner quelques unes de ses facettes même si cet inventaire ne prétend en aucun cas épuiser les richesses de l'œuvre.

Lola, c'est d'abord la nouvelle vague dans ce qu'elle a pu avoir de plus gracieux. A une barmaid qui lui demande s'il n'a pas des amis pour tromper son ennui, Roland Cassard (Marc Michel) répond qu'il en avait bien un, Poiccard, mais qu'il a mal tourné et s'est fait descendre.

Cette allusion directe à A bout de souffle n'est pas un simple clin d'œil.

Pour son premier long-métrage, Demy affirme son cousinage avec Godard à qui il emprunte d'ailleurs son chef opérateur (Raoul Coutard) et à qui il rend de nombreux hommages. La scène d'ouverture du film (le retour de Michel - Jacques Harden- à Nantes) est assez similaire au trajet en voiture qu'effectue Belmondo au début d'A bout de souffle (même sens du rythme).

Quant aux rapports entre Lola et Frankie, le marin américain, ils évoquent parfois le couple Belmondo/ Seberg (« je veux recoucher avec toi » est une phrase qui revient dans les deux films et il y a des similitudes dans les scènes en chambre). Enfin, les scènes où Roland et Lola traversent le passage Pommeraye sont aussi inoubliables que les déambulations de Michel et Patricia sur les Champs-Elysées.

Tournage en extérieurs, personnages et dialogues plus proches du quotidien, vivacité du montage : Lola possède tous les attributs du film « nouvelle vague ».


Mais c'est également un film qui se place d'emblée sous les auspices de Max Ophuls à qui il est dédié. De l'auteur de Madame de, Demy se souvient de l'élégance des mouvements de caméra épousant parfaitement les élans de cœur des personnages. Pour Lola, le jeune cinéaste rêvait déjà des grands films musicaux qu'il réaliserait par la suite (c'est d'ailleurs Michel Legrand, le complice de toujours, qui a composé la musique).

Faute de moyens, il se contentera d'une simple chanson mais déjà la mise en scène n'est que grâce et musicalité.

Tout est musique dans Lola : de l'agencement des plans jusqu'au jeu maniéré et inoubliable de l'incandescente Anouk Aimée.


Ophuls donc, mais également Cocteau et Bresson par l'intermédiaire d'Elina Labourdette qui jouait dans Les dames du bois de Boulogne. Elle incarne ici la veuve soignée qui élève seule sa fille. Dès son premier film, Demy donne une place de choix à ces femmes évaporées, belles mais vieillissantes, qui vivent désormais dans le souvenir d'un grand amour. Madame Desnoyer annonce la mère de Geneviève dans Les parapluies de Cherbourg ou le personnage incarné par Danièle Darrieux dans Les demoiselles de Rochefort


Mais au-delà de toutes ces influences, Lola témoigne surtout de la naissance d'un cinéaste unique. Comme chez Sirk, le film se termine par un faux happy end. Lola part avec l'homme qu'elle attend depuis 7 ans et son fils. Dans la voiture qui l'emmène, elle aperçoit son ami d'enfance Roland Cassard qui lui a déclaré sa flamme et qu'elle a repoussé. Tout Demy est dans ce panoramique qui montre deux personnages qui auraient pu s'aimer mais que la vie éloigne inexorablement l'un de l'autre. Tout son cinéma tient dans le regard mélancolique qu'a soudain Lola lorsqu'elle réalise qu'elle est peut-être en train de passer à côté du vrai grand amour (il est vrai que son playboy en costard blanc n'a rien de sympathique !).

Jamais autre part que chez Demy (peut-être chez Wong Kar-Waï : c'est pour cette raison que j'aime tant ce cinéaste) on aura ressenti avec tant de force la mélancolie du temps qui passe.

Dans tous ses films, qu'ils soient euphorisants (Peau d'âne, les demoiselles de Rochefort), mélodramatiques (Les parapluies de Cherbourg) ou tragiques (le sublime Une chambre en ville), il subsiste toujours ce sentiment qu'il est « trop tard » pour les personnages, que même les plus beaux moments sont déjà condamnés par la fuite du temps.

Dans Lola (et Benoît Jacquot le souligne avec justesse dans un supplément, même si ça saute aux yeux à la vision du film), le cinéaste fait de tous les personnages féminins de son film des projections possibles (et probables) de son héroïne aux différents âges de sa vie.

La fille de Madame Desnoyer, l'espiègle Cécile, rencontre un marin américain dont elle tombe visiblement amoureuse (il l'emmène à la fête foraine), exactement comme le fit autrefois Lola. A travers les yeux de cette toute jeune adolescente, c'est l'image du premier amour de Lola, le plus fort, l'unique (« on n'aime qu'une seule fois » est-il dit en substance dans le film) qui ressurgit.

En revanche, sa mère, jolie veuve et ancienne danseuse (c'est ce métier qu'exerce Lola) pourrait très bien figurer son futur destin : seule avec son enfant, vivant uniquement dans ses souvenirs et espérant en vain le grand amour qui ne reviendra plus...


Mais qu'importe ces mots dérisoires pour dire l'indicible beauté de ce chef-d'œuvre. Lola est plus qu'un film, c'est un secret que comprennent immédiatement les fanatiques du cinéma de Demy. Secret de l'amour, du temps qui passe, de la mélancolie et de la joie de vivre malgré tout.

Secret de la grâce, comme ces mots que confie Tony Leung à un tronc d'arbre dans In the mood for love et dont nous ne saurons rien...



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