Underworld USA (Les bas-fonds new-yorkais) (1961) de Samuel Fuller avec Cliff Robertson

 

 

« Un film, c’est comme un champ de bataille : l’amour, la haine, l’action, la violence et la mort ; en un seul mot, c’est l’émotion » .

Puisque TPS entame un cycle consacré à Samuel Fuller, il ne me paraît pas inutile de rappeler (même si c’est désormais une grosse tarte à la crème) cette définition que le cinéaste donne lui-même de son art dans Pierrot le fou de Godard. Elle résume assez bien l’œuvre d’un homme qui ne s’est jamais embarrassé de discours inutiles ou de psychologie de bazar : un cinéma béhavioriste sans mauvaises graisses, uniquement centré sur le comportement des personnages et leur place dans le « champ de bataille ». On comprend l’admiration que ce cinéaste a pu susciter chez les auteurs de la Nouvelle-Vague à qui il a d’ailleurs rendu la monnaie de leur pièce puisque la fin d’ Underworld USA est une citation transparente d’A bout de souffle.

 

 

Alors qu’il n’a que 14 ans, Tolly Devlin voit son père se faire assassiner par quatre tueurs. Il reconnaît un des assassins et jure de se faire justice lui-même. Devenu un professionnel du perçage de coffres-forts, Tolly retrouve en prison l’homme qu’il recherchait et arrive à lui extorquer des aveux avant qu’il succombe. Les trois hommes qui ont tué son père font partie de la pègre new-yorkaise et occupent les plus hautes fonctions dans diverses « branches » (drogue, prostitution et syndicats du crime). Tolly décide d’infiltrer le milieu pour accomplir sa vengeance…

 

 

Dès la première séquence, le ton est donné. Tolly n’est pas un héros sympathique : c’est de la mauvaise graine qui n’hésite pas à détrousser les ivrognes qui ne tiennent plus debout et à se battre pour conserver son butin que convoite un autre ado. Vision très noire d’un monde où plus rien ne compte que la survie individuelle et l’argent. En montrant ces ados livrés à eux-mêmes, Fuller s’inscrit dans un courant nihiliste du cinéma américain qui m’a rappelé les grands films d’Aldrich (En quatrième vitesse, ce chef d’œuvre !).  

Bas-fonds, corruption, règlements de compte, crimes crapuleux (scène terrible où la pègre s’en prend à une enfant), violence ; Fuller filme cet univers avec une terrible concision et une brutalité sèche. Sa mise en scène est taillée au cordeau, sans la moindre afféterie mais avec des idées parfois lumineuses (des gros plans expressionnistes ou de brusques travellings avant qui donnent la mesure de ce monde halluciné). Il n’est pas question ici de « réalisme » puisque tout est stylisé (les décors, le milieu de la pègre…) mais d’atteindre néanmoins une certaine vérité humaine.

Fuller y parvient et le moins que l’on puisse dire, c’est que son regard n’a rien d’optimiste. Nous parlions d’ambiguïté à propos de French connection mais je la retrouve plus dans un film comme Underworld USA. D’une part parce que le cinéaste nous donne à épouser le point de vue de Tolly, personnage peu honnête et se livrant à une quête que la morale réprouve (la vengeance individuelle) tout en conservant quelque chose de profondément humain. D’autre part, il montre un personnage qui navigue sans problème du milieu de la pègre (il pratique les mêmes méthodes) à celui de la police et la justice. Où se situe le Bien et le Mal ? Difficile de répondre lorsqu’on voit que la police n’hésite pas d’ailleurs à utiliser des méthodes crapuleuses (faux papiers, indics…) pour semer la zizanie chez les mafieux et les pousser à s’entretuer.

En fait, Tolly ne sert que lui-même (il refuse dans un premier temps de livrer l’identité du tueur de son père à la justice) et son intérêt individuel. C’est un monstre d’égoïsme qui n’offre rien à l’autre (voir la très belle scène où il se moque de la déclaration d’amour que vient de lui faire sa protégée). Lorsqu’il propose d’ailleurs à cette femme de « l’installer » dans un appartement, Fuller joue beaucoup sur l’ambiguïté de ce « héros » près de devenir maquereau à l’instar des types qu’il traque (et qui, par ailleurs, ont des allures classiques d’hommes d’affaires « honnêtes » qui paient leurs impôts).

 

 

Le cinéaste se livre à un immense brouillage de cartes : dans un monde où ne dominent que l’argent et le profit ; rien ne sépare plus l’entrepreneur du souteneur et le commerçant du trafiquant de drogue.

Tel pourrait être le fin mot de ce grand film noir, violent et pessimiste…  

 

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